Une Kei bouleversée était assise dans ma chambre.
En regardant comme elle était bien habillée, il était évident qu’elle avait des projets pour la suite de la journée.
Karuizawa — Alors, qu’est-ce que c’est ?
Kei me regarda, fronçant les sourcils, tandis que je restais silencieux. Même si c’est moi qui l’avais appelée, je n’arrivais pas à dire un mot.
Moi — Comment ça ?
Karuizawa — Qu’est-ce que tu veux dire ? C’est toi qui disais t’être souvenu…
Moi — Maintenant que tu le dis, oui, je suppose que c’est vrai.
Karuizawa — ……
En écoutant mes paroles vagues, le mécontentement de Kei s’intensifia.
Karuizawa — Oh allez, qu’est-ce qu’il y a ?
Moi — Eh bien, tu n’as pas besoin d’être si pressée.
Karuizawa — Je suis presque sûre de l’avoir mentionné, non ? Je mange avec mes amies à 19 heures au centre commercial Keyaki. Tu comprends ?
Moi — On a encore le temps, ça va.
Karuizawa — Hmm, tu me donnes la chair de poule, tu sais ? Ce que tu fais n’a aucun sens depuis tout à l’heure…
Kei semblait visiblement troublée dans la mesure où j’agissais un peu différemment de d’habitude.
Karuizawa — …Oh au fait. J’ai quelque chose à te dire également.
Comme je restais silencieux, Kei commença à se plaindre.
Moi — Ah, vraiment ?
Pour être honnête, je ne savais pas de quoi elle allait me parler.
Karuizawa — Satô-san soupçonne ma relation avec toi, tu sais ?
Satô… Nous n’avions pas eu beaucoup de contacts récemment, mais c’était une camarade de classe qui s’était déclarée à moi.
Moi — Je pensais plutôt qu’elle allait me détester après que je l’ai rejetée. Quels soupçons ?
Karuizawa — Elle pense que j’ai peut-être rompu avec Hirata pour sortir avec toi. Elle a essayé de me poser des questions à ce sujet de façon détournée.
En gros Satô avait abordé le sujet et c’est ainsi que Kei avait compris où elle voulait en venir.
Karuizawa — Je l’ai réfuté, bien sûr, mais je ne sais pas si elle m’a crue.
Moi — Je vois. J’ai aussi eu une conversation similaire.
Karuizawa — Quoi ? Ah bon ?
Moi — Matsushita se méfiait un peu de toi et moi. Elle m’a demandé s’il y avait un truc entre nous.
Je lui rapportai donc notre conversation d’il y a quelques jours, et après l’avoir entendue, le visage de Kei devint pâle.
Karuizawa — Quoi ? Pas possible, hein ? Vraiment ? C’est une blague ?
J’hochai la tête pour montrer que j’étais sérieux et commençai à lui expliquer toute l’histoire. Je lui racontai comment Matsushita-san avait aussi caché ses vraies capacités, ses observations qui soulevaient des doutes sur notre relation, et ses doutes sur ma vraie nature.
Karuizawa — A-attends un peu ! Je ne peux pas suivre le rythme !
Kei, qui semblait avoir mal à la tête, plaça sa main sur son front.
Karuizawa — Je pense que ça devient risqué… Tu as une idée ?
Après avoir compris la situation, Kei me demanda ce que j’en pensais. Non, elle cherchait une solution. Comme c’était en partie lié à la raison pour laquelle je l’avais appelée, il valait mieux que je sois franc…
Moi — Et si on ignorait tout ça ?
Karuizawa — Non, non, ce n’est pas bien ! Surtout que notre relation…
n’a rien de spéciale à la base !
Moi — Ça te dérange tant que ça que les autres y croient ? Disons que si une rumeur se repend, laissons-la, d’accord ?
Karuizawa — Quoi ? La laisser dire ce qu’elle veut ? Pas moyen ! Dislui tout de suite qu’il n’y a rien entre nous !
Moi — Cela pourrait produire l’effet inverse si j’essayais de l’expliquer à Matsushita maintenant.
Karuizawa — T’aurais dû le savoir dès le début, n’est-ce pas ? Pourquoi t’as fait le con là ?
Moi — Peu importe comment je l’ai expliqué, cela ne changerait rien.
Satô soupçonne quelque chose entre nous. Comme elle est proche de Matsushita, elles vont forcément en parler entre elles… Elles l’ont sûrement déjà fait, d’ailleurs.
Il fallait se mettre à sa place, c’était par les autres qu’elle avait appris pour les rumeurs.
Karuizawa — …Oui, c’est pas faux…
Donc faire un petit point avec Kei s’imposait.
En réalité, j’étais sincère quand je disais que nier catégoriquement n’aurait fait qu’accentuer les soupçons. Surtout si on avait découvert que j’avais menti. Autant faire semblant de concéder à l’ennemi pour baisser sa vigilance. Mais ce n’était pas tout à fait ce qui semblait contrarier Kei.
Karuizawa — Je veux dire… Ils vont pas penser que j’ai rompu avec Hirata-kun pour sortir avec toi à la place ? C’est pas très bon pour moi si ce genre de bruit circule, et tu le sais.
Moi — Pourquoi ça devrait t’inquiéter ?
Karuizawa — Écoute-moi bien. Si une telle rumeur se répandait, elle m’affecterait à partir de maintenant.
Kei exprimait sans relâche son mécontentement, ne lâchant pas prise.
Karuizawa — Pour faire simple, c’est difficile d’être approché par le sexe opposé si on me croit avec quelqu’un.
Kei me pointait du doigt. Comme pour me dire « Compris ? ».
Moi — Alors tu dis que tu veux trouver un nouveau mec et que je suis un obstacle ?
Karuizawa — En quelque sorte…
Oui, c’était assez logique. Tout comme lorsque Sudou avait révélé s’être épris d’Horikita, courtiser cette dernière devenait plus compliqué pour les autres.
Karuizawa — Est-ce que tu comprends vraiment ? Bon, je continue.
Kei continua, pensant que je ne comprenais toujours pas.
Karuizawa — Tu… Es-tu proche de cette Shiina ?
Moi — Shiina ? Ah, tu veux dire Hiyori ?
Karuizawa — Hiyo…
Elle était l’une des rares filles que j’appelais par son prénom. Avec Kei, Haruka et Airi. Kei devait le savoir, mais ne devait pas s’attendre à ce que j’aie ce genre de relation avec quelqu’un en dehors de notre classe.
Moi — Nous sommes assez mordus de lecture, donc je suppose que nous avons pas mal en commun elle et moi. Pourquoi ?
Après avoir dit cela, le visage de Kei changea de couleur.
Karuizawa — M-même passe-temps… L-lire des livres ? Tout le contraire de moi en fait.
En effet, Kei et Hiyori avaient des personnalités complètement différentes. Elle le savait elle-même.
Moi — Et alors ?
Karuizawa — …Non, je veux dire… Argh ! J’ai oublié quoi dire !
Kei se mit en colère, leva les bras et détourna le regard.
Après s’être calmée, elle s’est vite remise à parler.
Karuizawa — Si les rumeurs sur toi et moi devaient se répandre… Il te serait plus difficile de te rapprocher de Shiina-san, n’est-ce pas ?
Moi — Je vois. Tu marques un point.
Je l’admis, et puis Kei se leva.
Karuizawa — Non pas que je m’en soucie vraiment. Tu es libre de te rapprocher de qui tu veux d’ailleurs.
Après avoir dit cela, Kei se retourna.
Karuizawa — Désolée mais, est-ce que… On pourrait remettre cette conversation à plus tard ? Je veux aller au centre commercial Keyaki un peu plus tôt. Il y aura peut-être des garçons d’autres classes qui viendront aussi. Je vais chasser les rumeurs donc je dois me mettre dans l’ambiance… Je n’ai pas le temps de m’occuper de ton cas. Moi — Carrément !
Karuizawa — Je cherche un nouveau petit ami depuis que j’ai rompu avec Hirata-kun. Tu as un problème avec ça ?
Moi — Pas du tout.
Karuizawa — …N’est-ce pas ? Donc je m’en vais là.
On dirait que j’avais été un petit peu loin. Je me levais aussi. Kei pensait que j’allais l’accompagner.
Karuizawa — C’est bon, ce n’est pas la peine.
Devant le ton de rejet très fort, j’ai crié le nom de Kei.
Moi — Kei.
Karuizawa — Quoi, encore ?
Moi — Si tu ne veux pas, c’est bien que tu élargisses tes horizons. Mais…
Karuizawa — Quoi ?
Après avoir répondu avec incrédulité, elle a fait très attention à ce que j’allais dire ensuite.
Moi — Veux-tu sortir avec moi ?
Karuizawa — Hein ?
Kei fronça les sourcils, ne comprenant pas. Elle me regarda, les yeux débordant de doutes.
Karuizawa — Qu’est-ce que tu as dit ? Pardon ?
Elle semblait avoir quelque peu compris de travers.
Moi — Je t’ai demandé si tu voulais sortir avec moi.
Karuizawa — Non… enfin…Pourquoi tu voudrais qu’on parte quelq….
Il n’était pas nécessaire de continuer à parler. Je regardai Kei dans les yeux, et Kei l’accepta. Nous avions atteint ce degré de relation où le regard seul suffisait à communiquer nos sentiments.
Karuizawa — At-tt, eh, qu-quoi !? C’est quoi cette blague. C’est de mauvais goût, même toi tu peux faire mieux !!
Moi — Sous réserve que ce soit une blague.
Moi — Mais tu n’as pas parlé de te rapprocher de Shiina-san tout à l’heure ?
Moi — Je n’étais pas sérieux.
Karuizawa — Mais… L’autre jour…
Moi — C’était simplement, eh bien… Je voulais voir si tu allais être jalouse. Je suppose.
Appeler Kei au café, lui permettre d’assister à la scène entre Hiyori et moi en train de discuter. Il n’était pas nécessaire de faire cela, certes. Mais c’était une façon de lui faire savoir que je n’étais pas très à l’aise avec la romance en général.
Karuizawa — Si tu te fous de ma gueule, c’est la dernière chance de te reprendre… Tu le sais, n’est-ce pas ?
Avec le doute qui obscurcit son cœur, ce n’était pas une question à laquelle elle pouvait simplement répondre par oui ou par non.
Moi — Bien sûr, ce n’est pas une blague. Puis-je entendre ta réponse ?
Karuizawa — …T-t-t-u me demandes ça comme ça !?
Moi — Comme je l’ai dit plus tôt, tu peux détourner le regard, me rejeter, tu peux faire ce que tu veux…
Karuizawa — Je n’ai pas dit que j’allais t’ignorer ! Mais pourquoi ?
Moi — Par pourquoi, tu veux dire …?
Karuizawa — Eh bien, c’est-à-dire, moi…Heu… au fait, pourquoi aujourd’hui… ?
La question précédente n’étant pas claire, je n’ai pu répondre qu’à la dernière.
Moi — Je me demande pourquoi. Je ne suis pas sûr de pouvoir l’expliquer comme il faut. Mais il y a un truc… Je ne veux pas qu’un autre gars t’ait comme petite-amie.
Karuizawa — Alors tu veux dire… tu, tu m’aimes… moi… comme je suis
?
Cette question posée par Kei contenait des émotions fortes que je n’avais jamais vues auparavant. Je voulais agiter son cœur dans tous les sens et lui donner une réponse claire.
Moi — Oui, j’aime Kei Karuizawa.
L’un des événements majeurs de la vie était de se déclarer. Ce moment fugace où l’on exprime ses sentiments. Est-ce que j’avais suffisamment mis du cœur dans cette réponse qu’elle attendait ?
À l’origine, une déclaration est une action qui transformait quelqu’un que l’on aimait en quelqu’un qui nous appartenait.
Moi — Alors. Ta réponse ?
Le bâton que j’avais en main avait été remis à Kei, et il ne me restait plus qu’à attendre.
Kei, dans son chaos, s’était faite une idée de ce qu’elle ressentait dans sa tête, puis elle avait fait de son mieux pour fuir du regard discrètement.
Karuizawa — Je te laisserai sortir… avec moi.
Moi — Est-ce que je dois prendre ça pour un oui ?
Karuizawa — Tu veux que je te le dise ?
Bien que je comprenne sa confusion, c’était une partie indispensable de la confirmation. Ce n’est qu’après avoir reçu une réponse définitive que la relation entre nous deux pouvait évoluer.
Moi — Oui, je veux que tu le dises.
Bien que je l’y ai poussée de cette façon, Kei, surprise, essaya de faire un effort.
Karuizawa — …
Il n’y avait pas de tierce personne qui écoutait, et aucun contrat ou autre truc de cette école. Il n’y avait que nous, c’est une conversation entre nous et seulement nous deux.
Moi — Tu ne peux pas répondre ?
Si elle ne pouvait pas répondre, alors je devais poursuivre. Mais…
Karuizawa — Une seconde. C’est vraiment le bordel là…
Kei tendit les mais en avant, comme pour me dire de patienter un peu. En la regardant, Je décidai d’attendre calmement que ce moment vienne. Au bout d’un moment, Kei me regarda, la détermination plein les yeux.
Karuizawa — …Eh bien, tu sais ? Je veux dire, tu sais…
Bien qu’elle se soit décidée, il lui fallut encore un peu de travail pour organiser les mots et les prononcer. Je ne pouvais m’empêcher de la trouver mignonne dans cet état, donc je ne la pressai pas et ne le pris pas mal. Même si j’attendais sa réponse depuis si longtemps.
Karuizawa — … J’aime…
Bien qu’il ait été sûrement extrêmement difficile pour elle de trouver le courage de le faire, Kei n’essaya plus de détourner le regard. Cela montrait sa motivation.
Karuizawa — …En quelque sorte… en quelque sorte…
La voix de Kei devint de plus en plus douce, bégayant, mais persistant à révéler ses sentiments.
Karuizawa — Je suis aussi… comme… tombée dans le panneau… C’est frustrant mais… je l’admets, je l’admets !
Je ne savais pas pourquoi elle était en colère, mais malgré cela, elle s’était elleaussi déclarée. Je la pris doucement dans mes bras.
Karuizawa — A-attends ! Ne dis pas que tu voulais m’embrasser !?
La réaction de Kei fut encore plus forte que lorsque je lui avais dit que je l’aimais.
Même si nous nous embrassions maintenant, je ne pensais pas que Kei allait s’y opposer. Mais j’attendais le bon moment.
Moi — Non. Pas encore.
Karuizawa — « Pas encore »…
En d’autres termes, là, elle était sûrement en train de se projeter la scène de notre baiser. En imaginant cette scène, Kei était immobile, comme si elle était figée.
Ainsi je l’embrassais.
Je voulais marquer la chose afin de graver dans le marbre que notre relation n’était plus la même.
Moi — Ça devrait aller, n’est-ce pas ?
Karuizawa — Eh bien, si ce n’est que ça…
Même si je ne voyais pas son visage, j’avais compris. Kei devait à la fois se sentir confuse, anxieuse et heureuse. L’expression de son visage était la résultante d’un sentiment impossible à exprimer visuellement, d’un simple sourire par exemple.
Karuizawa — Hé, tu n’as pas grandi un peu ?
Moi — Peut-être bien, oui.
Avant de venir dans cette école, je mesurais 1m76. Grandir cette année n’avait pas été une mince affaire.
C’était le cas de tous. Tous avaient grandi ici. Les humains sont des créatures avec une soif d’apprendre, c’est dans nos gènes. Apprendre à faire du vélo ou à nager. Apprendre à utiliser des baguettes et à boire avec une paille. Eh bien, me concernant, j’apprenais à tomber amoureux grâce à Kei.
L’amour n’était pas une chose qui s’apprenait dans la White Room. Et cela avait stimulé mon esprit, ma curiosité.
D’ailleurs, il y avait une raison importante pour laquelle j’avais choisi Kei. C’était tout simplement parce que cet amour était nécessaire pour son épanouissement futur. En effet, le mode de survie de Kei, en tant que parasite attachée à un hôte, allait avoir ses limites un jour. Il était nécessaire qu’elle passe par une vraie relation afin d’éviter cette issue.
E… Et moi alors ? Quelle expression avais-je ? Est-ce que je souriais ? Ou j’affichais de la timidité, un sourire confus ? Je ne savais pas. Je n’étais pas conscient de l’expression que j’affichais.
Non… En fait je savais tout. Ce à quoi je pensais, et ce que j’avais l’intention de faire.
Apprendre est un art et les gens ressentent de la joie dans ce processus. Qu’il s’agisse d’étudier, de faire du sport ou de jouer, c’était la même chose. On se sent heureux en progressant. C’était pareil avec l’amour.
Je ne comprenais toujours pas l’amour. Familial, romantique… Peu importe, je n’y connaissais rien. De même que la relation entre les hommes et les femmes. La gêne et le bonheur que je ressentais, ce genre de choses, je ne les comprenais pas non plus. Mais, dans un avenir proche, j’allais sûrement trouver les réponses à ces questions.
Mais il se pouvait que rien ne change non plus. Que je me contente d’apprendre, de grandir et d’avancer.
En d’autres termes, Kei n’était peut-être pour moi qu’un manuel du sexe opposé dont je me séparerai une fois que je n’en aurai plus l’utilité.
Ou alors… Un destin tout autre m’attendait ? Ne pas la quitter, devenir son tout. Je ne savais pas. Une partie de moi l’espérait, et une autre comprenait que ce n’était pas possible.
Alors, je priais. Je priais pour que je puisse sourire un moment à une personne qui comptait pour moi, cette personne que je tenais dans mes bras. Je priais pour pouvoir rester élève ici, promettant de la chérir.
J’embrassai doucement Kei, en priant calmement.