Un peu avant 7 h le lendemain, le cinquième jour de l’examen, nous nous dirigeâmes vers le sud le long de la rivière, de la zone D4 à D5. Après avoir mis le pied dans la zone G3 hier, nous décidâmes de renoncer à la zone suivante, H4, et de nous diriger vers l’ouest pour retourner à la zone de départ. En conséquence, nous manquâmes aussi les deux désignations suivantes, H6 et I7, ce qui signifiait, trois zones d’affilée de manquées.
À moins qu’une zone désignée n’apparaisse au hasard par miracle quelque part le long de notre itinéraire, ce nombre passerait inévitablement à quatre. Au final, les chances ne jouèrent pas en notre faveur car lorsque sonna 7h du matin, la première zone désignée de la journée se révéla être I8. Le point positif était que l’endroit était très éloigné alors nous l’aurions manqué de toute manière.
Probablement parce qu’il était encore très tôt, le doux murmure de la rivière voisine était très agréable. Mais c’était sans compter les mauvaises nouvelles qui suivirent peu après, gâchant ainsi une journée qui aurait pu être tranquille.
Nanase — La situation de Shinohara-senpai ne semble pas très optimiste…
Shinohara fut désormais livrée à elle-même suite au retrait de Komiya et de Kinoshita hier. Même si Ike et Sudou faisaient ce qu’ils pouvaient pour la soutenir, le nombre de points qu’elle pouvait marquer seule était, au final, limité. Hier, son groupe n’avait pas été inclus dans les dix derniers, mais lorsque nous avions vérifié le classement ce matin, il était déjà tombé dans les huit derniers. Vu que les groupes classés en dessous d’elle gagnaient des points plus rapidement, dans un ou deux jours elle allait se retrouver à la dernière place. Ironiquement, cela permit au groupe d’Akito de rester audessus de la ligne rouge, du moins pour le moment.
Je n’avais pas eu l’occasion de regarder hier les premiers du classement. La première place était occupée par le groupe de Nagumo, composé uniquement d’élèves de terminale A, tandis que la deuxième place était détenue par le groupe de Kiriyama, de la terminale B. Les deux meilleurs représentants des terminale faisaient donc tous acte de présence dans le top.
Nanase — Ah, Senpai. Il y a quelqu’un qui pêche devant nous.
Un élève solitaire apparut devant nous. Il était assis sur un flanc rocheux, passant tranquillement le temps avec une canne à pêche à la main. En raison de son apparence extérieure particulière, je le reconnus immédiatement. Il faisait partie du groupe que je voulais rencontrer à tout prix. Je ne m’attendais pas à avoir la chance de le voir aussi tôt. En raison de la nature de l’examen et de la taille de l’île, trouver une personne en particulier revenait à chercher une aiguille dans une botte de foin. J’avais même envisagé d’utiliser le GPS une fois activé demain pour tenter de rencontrer le groupe. Je ne pouvais donc pas passer à côté de cette chance.
Moi — Ça te dérange si on fait un détour, Nanase ?
Bien que plusieurs tâches intéressantes fassent leur apparition dans les environs, nous allions probablement devoir y renoncer.
Nanase — Je ne fais que t’accompagner Ayanokôji-senpai. N’éprouve pas le besoin de me demander mon avis.
Je pris ses paroles pour argent comptant et décidai d’approcher cet élève. Il ne semblait pas encore nous avoir remarqués, mais je choisis de ne pas l’appeler de loin pour ne pas interrompre sa pêche. Nous nous approchâmes ainsi tranquillement en marchant le long du gravier sablonneux du bord de la rivière. Très vite, nous nous rapprochâmes suffisamment pour qu’il remarque notre présence. Il se tourna lentement nous.
— Tu as commencé tout seul, mais il semble que tu ne sois pas encore tombé dans les dix derniers.
C’est avec ces mots que nous fûmes accueillis par Katsuragi de la 1ère B.
Moi — En effet. Mais si je prends les choses à la légère ne serait-ce qu’un jour alors mon rang chuterait probablement rapidement.
Ayant entendu l’agitation, Ryuuen émergea de l’intérieur de sa tente et me lança un regard quelque peu surpris.
Ryuuen — Alors tu te balades pepouze sur l’île avec une nana, hein ? Tu t’es lassé de Karuizawa ou c’est comment ?
Katsuragi — Karuizawa ? Pourquoi parles-tu d’elle ?
Katsuragi reporta son regard sur Ryuuen, confus.
Ryuuen — Kuku, laisse tomber, c’est rien.
Moi — On dirait que vous vous débrouillez plutôt bien tous les deux.
On pouvait facilement vérifier le classement grâce à la tablette. Ce matin, j’avais un total cumulé de 52 points, ce qui me plaçait à la 74e place au classement général. Pour un groupe d’une seule personne, c’était une prouesse. Ryuuen et Katsuragi occupaient la dixième place avec un total cumulé de 92 points. Sur ces 92 points, 29 provenaient des primes d’arrivée, 41 des primes d’anticipation et 22 des tâches.
Ryuuen — Oh, arrête tes conneries. Ce monstre avec une case en moins est dans ta classe si je ne m’abuse ?
Moi — Certes.
Le “monstre avec une case en moins” auquel Ryuuen faisait référence n’était autre que Kôenji. Comme moi, il passait l’examen seul mais malgré cela, il se trouvait actuellement à la quatrième place. De tous les groupes du top 10, c’était lui qui avait obtenu le plus de points grâce aux primes d’arrivée, sans compter le nombre considérable de points qu’il avait gagnés grâce aux tâches, soit un total cumulé de 126 points. Jusqu’à présent, ses performances étaient vraiment exceptionnelles et il n’y avait pratiquement aucune marge d’erreur.
Cependant, il restait encore dix jours d’examen en comptant aujourd’hui. Si un accident devait se produire en raison d’un surmenage ou d’une blessure, il perdrait sa place parmi les dix premiers en un instant.
Au cours de cet examen de deux semaines sur une île déserte, nous n’avions pas droit à un seul jour de repos et, pour le coup, celui ou celle qui malmenait son corps allait forcément subir un contrecoup tôt ou tard. Cela commençait par des symptômes évidents, comme des douleurs musculaires et des courbatures, puis, petit à petit, les jambes finissaient par s’alourdir au point que même des choses simples comme la marche devenaient difficiles. De plus, comme nous étions soumis au strict minimum concernant les nutriments essentiels pour notre corps, la fatigue mentale se faisait aussi ressentir.
Moi — Quelle est votre prochaine zone désignée ?
Ryuuen — Hah ?
Moi — Il est déjà plus de 7h du matin. Vous avez l’air de vous reposer.
Katsuragi — C’est en effet ce que j’ai décidé de faire.
Katsuragi répondit en jetant sa ligne dans la rivière.
Katsuragi — Nous avons avancé à un rythme rapide ces quatre derniers jours avec une bonne organisation. Ceci étant dit, notre première zone désignée aujourd’hui s’est avérée être la désignation aléatoire en E10, nous devions donc nous fatiguer si nous voulions arriver dans le temps imparti. J’ai décidé qu’un ou deux points ne valait pas tous ces efforts.
Ryuuen laissa échapper un sourire en coin en haussant les épaules. Il était le type de personne qui cherchait toujours à dépasser ses limites, et pourtant, Katsuragi avait réussi d’une manière ou d’une autre à le persuader de faire une pause. Ishizaki ou Kaneda n’auraient probablement pas été capables de contrôler Ryuuen à ce point. Il semblait que Katsuragi jouait déjà un rôle important dans leur classe.
Nanase — Alors, tu as attrapé quelque chose ?
Nanase posa cette question à Katsuragi en regardant le flotteur de pêche dans la rivière.
Katsuragi — Malheureusement, ça n’a pas été très fructueux. Il faut aller à la mer si on veut attraper beaucoup de poissons.
Autrement dit, il pêchait ici simplement pour passer le temps.
Moi — Je suppose que vous vous débrouillez bien sur le plan alimentaire.
Je ne savais pas s’il allait me répondre honnêtement ou non, mais j’ai décidé de tenter le coup.
Katsuragi — Il y a vraiment de quoi se nourrir dans la mer, les rivières et la forêt. L’eau est au final en abondance puisqu’il suffit de faire bouillir l’eau de la rivière.
Moi — Mais n’est-ce pas risqué de boire l’eau de la rivière ?
Katsuragi — Tu n’as pas tort. La faire bouillir ne garantit pas qu’elle soit parfaitement sûre, c’est pourquoi je suis le seul à la boire. Ryuuen boit seulement l’eau en bouteille.
Ils géraient les risques à la perfection. À ce stade de l’examen, il devait y avoir des groupes qui étaient en proie aux luttes internes pour s’en sortir, mais ces deux avaient réussi à trouver un équilibre.
Moi — Il se trouve que je te cherchais, Ryuuen.
Ryuuen — Tu me cherchais ?
Moi — Je suppose que vous savez tous les deux quels groupes sont dans les dix derniers pour le moment, n’est-ce pas ?
Ryuuen — Bien sûr. Mais je ne sais pas ce que font ces idiots de ma classe dans les huit derniers.
Avec deux membres en moins, leurs gains avaient fortement baissé, créant une disparité toujours plus grande entre eux et les autres groupes situés en bas de l’échelle.
Moi — Komiya et Kinoshita se sont retirés.
Le sourire sur le visage de Ryuuen disparut instantanément, remplacé par une expression sérieuse. Katsuragi regarda également dans ma direction, son attention s’étant détournée de la canne à pêche qu’il tenait dans les mains.
Katsuragi — Comment ça ? Explique-toi.
Puisque Katsuragi était maintenant un membre à part entière de leur classe,
Komiya et Kinoshita étaient des camarades qu’il devait protéger.
C’est Nanase qui répondit à la question de Katsuragi.
Nanase — Ils ont été gravement blessés. Il est peu probable que l’un d’entre eux puisse marcher de sitôt.
Katsuragi — C’était un accident ?
Nanase — Eh bien, c’est…
Moi — Selon Shinohara, le dernier membre restant de leur groupe, ils ont été attaqués par quelqu’un.
Ryuuen — Je suppose que ce ‘quelqu’un’ a été viré d’ici en même temps qu’eux, non ?
Moi — Malheureusement, le témoignage de Shinohara était la seule preuve qu’ils avaient. Ni Komiya ni Kinoshita n’ont pu se rappeler s’ils avaient été réellement attaqués ou non. L’école devrait toujours enquêter, mais je ne me ferais pas d’illusions.
Nanase — Ils considèrent que Shinohara-senpai a menti pour que son groupe puisse s’en sortir avec des circonstances atténuantes.
Katsuragi — Que devrions-nous faire Ryuuen ? Même si nous parvenons à nous placer dans les trois premiers, cela n’aura aucun sens si Komiya et Kinoshita finissent expulser.
Si le groupe de Shinohara arrivait en dernière position, les classes de 1ère D et de 1ère B subiraient toutes deux des revers importants.
Ryuuen — Tu as dit que tu me cherchais, non ? Shinohara est ta camarade de classe, donc je suppose que tu as déjà trouvé un plan pour empêcher les expulsions. Ou je me trompe ?
Comme prévu, bien que ne connaissant aucun détail, Ryuuen avait su instinctivement que j’avais pensé à quelque chose.
Moi — Désolé Nanase, mais je ne peux pas te laisser écouter la suite de cette conversation. La survie des 1ère est en jeu.
Nanase — Je comprends.
Après avoir confirmé que Nanase s’était éloignée suffisamment de nous, je m’approchai de Ryuuen et lui fit part des détails de ma stratégie. Il pourra ensuite en faire part à Katsuragi.
Ryuuen — Kuku, je vois. Avec un tel plan, il y a vraiment un moyen pour Shinohara de survivre. Cela dit… est-ce que tout se passera bien ?
Moi — Il devrait y avoir de bonnes chances aussi longtemps que tu coopères. Le reste se fera naturellement.
Ryuuen — T’as vraiment des couilles mon gars pour penser à ce genre de trucs dans des situations aussi pourries. Si les autres groupes réalisent ce qu’il se passe, ils vont commencer à agir.
Je répondis par un petit signe de tête. C’était justement la raison pour laquelle je ne voulais pas que Nanase nous entende. Si les 2nde l’apprenaient, cela allait probablement entraîner une confrontation entre les 1ère et le reste des élèves.
Moi — Il y a aussi des 2nde intelligents. Il faut partir du principe que certains feront leur entrée plus tôt que prévu.
Il était également impossible de prédire ce que les terminale feraient s’ils découvraient la chose.
Ryuuen — Si c’était du menu fretin, je n’hésiterais même pas à les laisser se faire exclure, mais Komiya et Kinoshita ont encore leur utilité.
Moi — Donc tu vas travailler avec moi si je comprends bien ?
Ryuuen — Nos intérêts convergent alors il n’y a pas moyen que je passe à côté de ton plan.
Le groupe de Shinohara était composé d’élèves de nos deux classes, après tout. Si nous ne nous donnions pas la main ici et maintenant, il allait devenir impossible de les sauver.
Moi — Si tu vois Ichinose, tu pourras lui divulguer le plan aussi ?
Ryuuen — Hormis ce paillasson d’Ichinose, ça m’étonnerait que Sakayanagi nous aide aussi facilement.
Moi — Elle n’est pas du genre à s’asseoir et à laisser des 2nde la prendre de haut.
Ryuuen — Kuku, pas faux.
C’est ainsi que notre rencontre impromptue prit fin. Nous nous saluâmes et nous nous mîmes immédiatement en route vers la zone de départ.
1
Nanase et moi prîmes la direction du sud vers la zone de départ, mais en cours de route, une tâche apparue près du sommet de la zone C5. Nous modifiâmes ainsi notre itinéraire en conséquence. La tâche en question était un duel de tir à la corde.
Le délai d’inscription était court, 40 minutes, et le nombre de participants était limité à deux garçons et deux filles, donc les conditions générales étaient très strictes. Cependant, on gagnait cinq points simplement pour avoir participé, et si on gagnait, on empochait dix points supplémentaires, pour un total cumulé de quinze points.
Comme le sommet n’était qu’à une courte distance devant nous, il était plus ou moins impossible pour les autres élèves de nous battre en rapidité à moins d’être déjà dans la zone. Après avoir pris en compte le fait que j’allais bientôt manquer ma quatrième zone désignée d’affilée (et donc une perte de deux points en conséquence), je décidai que nous devions nous lancer. De plus, il y avait une bonne chance que quinze points nous tombent directement dessus si personne d’autre ne se présentait.
Malgré l’altitude élevée de la montagne, nous avançâmes à un rythme rapide et arrivâmes à la tâche avec environ cinq minutes d’avance. Je pensais que nous serions les premiers à arriver, mais apparemment quelqu’un nous avait devancés.
Ce “quelqu’un” semblait avoir remarqué notre présence, mais il ne faisait aucun effort pour regarder dans notre direction.
Nanase — Il est arrivé ici assez rapidement, n’est-ce pas ? Il devait être encore plus près que nous.
Moi — Je me le demande.
Même s’il se trouvait dans la zone sud de C5 quand la tâche avait été annoncée, il lui aurait fallu tout de même un certain temps pour arriver ici.
Moi — Je ne sais pas si cela va t’éclairer mais c’est le fameux Kôenji Rokusuke.
Nanase — Kôenji… ? Le même Kôenji de votre classe qui est actuellement à la quatrième place du classement général ? …Eh bien, il semble dégager une… aura de grandeur en quelque sorte.
C’était une chose qu’il soit arrivé plus tôt que nous, mais ce qui était encore plus étrange, c’est qu’à part la seule bouteille d’eau minérale qu’il tenait, il n’avait aucun sac ou bagage avec lui.
S’il voyageait léger, alors il était logique qu’il puisse atteindre le sommet plus vite que nous, mais… Cela signifiait alors qu’il se déplaçait sans tablette, ce qui, je suppose, était normal pour quelqu’un comme Kôenji.
Après avoir pris une seule gorgée de son eau, il versa le reste au-dessus de sa tête, se douchant avec ce qui restait dans la bouteille. D’une certaine manière il semblait se complaire dans la satisfaction d’avoir atteint le sommet de la montagne.
Kôenji — Ah… Quel bel homme je suis, quelle splendeur ! Et ces gouttes de beauté masculine qui ruissellent sur mon corps magnifique. Il semblerait que j’ai gagné en puissance depuis l’année dernière.
Nanase — Il semble dire… quelque chose… Est-ce qu’il nous parle… ?
Moi — Non, il est définitivement en train de se parler à lui-même. Il est probablement trop concentré à s’admirer.
Nanase — Je… c’est donc…heu…
Perplexe, Nanase inclina la tête, incapable de comprendre son comportement. Je ne pensais pas que quelqu’un d’autre se présenterait, mais il ne restait que quelques minutes pour s’inscrire, alors je me disais que nous devions nous concentrer pour en finir. Ainsi, nous procédâmes tous deux à l’inscription et obtînmes nos places. Cependant, comme les règles prévoyaient une séparation des sexes, j’étais obligé d’affronter Kôenji. Nanase, en revanche, fut la seule fille à se présenter et gagna ainsi par défaut.
Kôenji — Il semble que mon adversaire ce soit toi mon petit Ayanokôji.
Moi — En effet.
Dans les tâches précédentes, j’étais indirectement en compétition avec mes propres camarades de classe en faisant simplement partie de la masse. Mais c’était la première fois que je devais affronter un camarade de classe dans un duel direct. De plus, l’adversaire de ce match n’était autre que Kôenji. J’espérais sincèrement que ce n’était pas le début de quelque chose d’écrit dans les étoiles.
Le membre du personnel chargé de la tâche nous présenta une corde et nous demanda d’en enrouler les extrémités autour de notre corps. Étant donné que ma série de désignations manquées ne faisait qu’augmenter, je voulais obtenir un maximum de points , mais…
Plutôt que de prendre la victoire pour moi alors que je ne faisais même pas partie des dix premiers, il semblait plus raisonnable de concéder les points à Kôenji pour que notre classe ait finalement plus de chances de sortir vainqueur. Avec les quinze points qu’il obtiendrait en gagnant, il dépasserait le score de Kiriyama (135 points) et se hisserait seul à la deuxième place, même si c’était temporaire.
De toute façon, si je devais vraiment concéder la victoire, il valait mieux abandonner maintenant pour ne pas perdre plus de temps ou d’énergie que nécessaire. Je pouvais simplement prendre mes cinq points, redescendre de la montagne et reprendre ma route jusqu’à l’embarcadère de la zone de départ.
— Le match va commencer dans un instant, alors préparez-vous.
Nanase — Il y a un problème, Senpai ?
Alors qu’on nous informait du début imminent du match, Nanase remarqua que j’étais perdu dans mes pensées et me fixa avec un air interrogateur.
Moi — Eh bien, je…
Kôenji — Fufufu, tu es du genre à chercher l’efficacité.
Kôenji capta instantanément mes pensées comme si elles avaient été écrites sur mon visage.
Kôenji — Tu pensais qu’il était préférable de t’abstenir de participer au match plutôt que de te donner la peine de m’affronter, n’est-ce pas ? Après tout, céder les points serait en effet le plus avantageux pour notre classe. Et ce serait la meilleure utilisation de notre temps.
Nanase — Est-ce… Est-ce vrai, Senpai ?
Moi — Je n’ai pas à me plaindre tant que ça aide Kôenji à réussir à grimper dans le classement.
Kôenji — Cependant, je doute que la petite Horikita soit très satisfaite de cela, n’est-ce pas ? Pour elle, il n’est pas difficile d’imaginer qu’il serait préférable que je prenne la deuxième ou troisième place plutôt que la première.
Il était si précis dans ses conjectures qu’une partie de moi se demandait s’il ne nous avait pas écoutés lorsque Horikita et moi en parlions.
Moi — Ça aurait eu un sens si des groupes de notre classe bataillaient pour la première place mais pour le moment ton groupe est le seul parmi les dix premiers composé uniquement d’élèves de 1ère D. Nous battre ici n’est clairement pas optimal.
Kôenji — Je comprends mais ce ne sont que des sottises. Le fait que tu crois avoir une chance de me vaincre est la raison fondamentale pour laquelle tu as ces pensées inutiles. Quel que soit l’adversaire, celui qui gagnera ce combat ce sera moi.
Kôenji avait pris part à un nombre assez important de tâches jusqu’à présent et il avait obtenu des récompenses dans chacune d’entre elles. De tous les groupes qui se sont succédés au cours des trois années scolaires, il était le seul à avoir pris le contrôle total comme ça. Dans certaines tâches, il était arrivé premier ou deuxième, mais dans celles de force ou d’endurance, il avait raflé la première place à chaque fois de loin. Il était tout naturellement convaincu qu’il allait également remporter la première place.
Kôenji — Mon petit Ayanokôji, cesse de te surestimer. Après tout, ce n’est pas tous les jours que tu auras la chance de te mesurer à ma motivation.
Le fait qu’il avait une confiance aveugle en sa force était probablement le plus grand charme de Kôenji. Je ramassai lentement la corde à mes pieds et l’enroulai autour de ma taille.
— Maintenant, si vous voulez bien vous mettre en position, je vais commencer le compte à rebours. Vous pourrez commencer à tirer quand j’arriverai à zéro.
Tout ce que j’avais à faire était de donner l’impression de faire des efforts et de perdre contre lui. De cette façon, je n’aurais pas gaspillé inutilement de l’énergie.
Kôenji — On dirait que la sagesse dont j’ai fait preuve à ton égard n’a pas fait grand-chose pour te stimuler.
Pour Kôenji, mes véritables intentions étaient probablement aussi transparentes qu’elles pouvaient l’être.
Kôenji — Eh bien, essaye du mieux que tu peux. De toute manière, sache que peu importe comment tu lutteras, la victoire ne te sourira pas cette fois.
À partir du moment où chacun de nous s’empara de la corde, le compte à rebours commença.
— ────Trois, deux, un… zéro !
Dès le signal, je tirai légèrement la corde dans ma direction. Étant donné le peu de force que j’exerçais, si Kôenji devait faire un effort sérieux, il me traînerait probablement au-delà de la ligne en moins d’une seconde. Cependant, la corde ne bougea pas du tout dans sa direction. Il se tenait en face de moi avec un sourire sans peur, attendant que je commence le duel pour de bon. Même si je n’avais pas l’intention de prendre cette affaire au sérieux, je ne voulais pas non plus perdre mon temps ici. Dans ce cas, il était peut-être plus productif pour moi de me défendre un peu pour qu’il se sente menacer. Si je devais soudainement commencer à tirer avec plus de force que prévu, il n’aurait d’autre choix que de paniquer et de réagir en conséquence.
Pour gagner cette épreuve, il ne suffisait pas de tirer sur la corde de toutes ses forces. Il y avait la force de la friction de la corde dans nos mains, la force de friction entre nos pieds et le sol, ainsi que la force normale qui liait le tout. Et pour être encore plus précis, il fallait aussi prendre en compte la force de gravité. Je maximisai ma prise sur la corde et plantai fermement mes pieds sur le sol. J’inclinai ensuite mon corps vers l’arrière sans me pencher au niveau de la taille pour finir par plier les genoux en tirant la corde près de ma taille…
Le drapeau marquant le milieu de la corde bougea légèrement dans ma direction. Tout bougeait conformément à mes calculs. Cela dit, la force exercée fut moins importante que prévu. Une autre force écrasante commença à tirer sur la corde, bloquant ma contre-attaque en un instant.
Kôenji — Pour gagner au tir à la corde, nous n’avons pas besoin de ces petits calculs ridicules. Il faut une puissance brute et débridée.
Ce n’est pas comme si j’y étais allé doucement avec lui, loin de là. La force qu’il exerçait sur la corde était si grande qu’elle avait ramené le drapeau central à sa position initiale, ramenant le match à un état d’équilibre.
Après analyse, il semblait que Kôenji et moi étions à peu près égaux en termes de force dans les bras. Qui plus est, il pesait plus lourd que moi.
Le facteur le plus important ici pouvait bien être le poids, et puisque j’étais plus léger que lui, il était difficile de le battre sans s’assurer un avantage d’une autre manière. Si j’utilisais toute ma force, je pouvais facilement transformer cela en une bataille d’attrition et attendre qu’il fasse une erreur, mais c’était une perte totale de temps et d’énergie. J’avais une autre stratégie que je pouvais utiliser pour prendre le dessus, mais il était trop tôt pour l’utiliser maintenant.
Alors que la corde s’enfonçait douloureusement dans mes doigts et mes paumes, je pensais une fois de plus à nos forces équivalentes. Kôenji avait des capacités physiques vraiment hors du commun. Même des gens comme Sudou et Albert, eux-mêmes des êtres d’exceptions, étaient bien inférieurs en comparaison. En fait, même le titre de “super lycéen” ne lui faisait pas honneur. Lorsque je mis de la force dans mes bras et tirai sur la corde une deuxième fois, Kôenji sentit tout de suite mon mouvement et répondit avec une force équivalente. Profitant pleinement de l’occasion, je relâchai immédiatement ma prise et arrêtai de tirer. Naturellement, la corde fut tirée à fond par Kôenji. Le match se termina ainsi.
Kôenji — L’efficacité jusqu’à la fin, n’est-ce pas finalement ?
Kôenji parut un peu surpris, mais l’issue étant décidée, il perdit apparemment tout intérêt à aller plus loin car il ne dit rien d’autre.
Nanase — C’est assez malheureux, Senpai.
Moi — Non, même si j’avais tout donné, je n’aurais certaine eu aucune chance. C’est normal que ça se termine de cette façon.
Dans l’ensemble, cette tâche se traduisit par un gain net de 20 points pour la 1ère D. C’était plus que suffisant pour que notre déplacement vaille le coup.
Moi — Tu peux continuer, Nanase ?
Nanase — Pour être honnête, mes jambes sont légèrement douloureuses.
Elle se frotta un peu le côté de sa cuisse en parlant.
Nanase — Mais comme je te l’ai déjà dit, agis comme bon te semble Ayanokôji-senpai.
Sa détermination à rester avec moi n’avait pas faibli le moins du monde.
Moi — En avant toute alors.
Nanase — Compris !
Apparemment, Kôenji avait déjà commencé à emprunter un autre itinéraire vers le bas de la montagne pendant le bref laps de temps où je m’étais entretenu avec Nanase. En effet, je ne le voyais plus nulle part.
2
Après environ deux heures de voyage supplémentaires, nous arrivâmes finalement à notre destination. Nanase avait commencé à prendre du retard pendant la dernière partie du voyage, et elle arriva environ une minute après moi, complètement essoufflée.
Nanase — Haaaa… J’ai finalement réussi à rattraper mon retard.
Elle essuya sa sueur avec une serviette tout en essayant de stabiliser sa respiration.
Moi — C’est difficile de croire que tu es une lycéenne de 2nde. Je ne m’attendais pas à ce que tu aies autant d’endurance.
Tout au long de notre temps ensemble, il y avait eu plusieurs occasions où ses prouesses physiques avaient piqué mon intérêt, mais celle-ci était de loin la plus intrigante.
Nanase — Non non, comparé à moi, tu n’es même pas essoufflé, Ayanokôji-senpai… Tu es tout aussi exceptionnel que je le pensais.
Moi — C’est juste que je ne laisse rien transparaître. D’ailleurs, regarde là-bas.
Nanase — Wow─ ! Il y a beaucoup de personnes.
Nanase, qui avait plus ou moins repris son souffle à ce moment-là, exprima sa surprise quant au nombre de personnes près de l’embarcadère. Non seulement on pouvait y acheter des fournitures supplémentaires avec nos points restants, mais on pouvait également recevoir des soins médicaux gratuits, prendre une douche rafraîchissante ou même utiliser des toilettes propres et bien entretenues.
C’était, pour ainsi dire, une oasis pour les élèves… Le seul et unique endroit sur l’île où l’on pouvait baisser sa garde et se détendre un peu. Qu’il s’agisse de ceux qui ne faisaient qu’une halte en raison de la proximité de l’endroit avec leur dernière zone désignée ou de ceux qui avaient choisi d’abandonner les prochaines zones pour faire une pause, il y avait ici autant d’élèves que d’objectifs et motivations.
En outre, un grand nombre de responsables de l’école fut mobilisé pour répondre aux divers besoins et services des élèves ici.
Nanase — Alors… Pourquoi avons-nous fait tout ce chemin jusqu’à la zone de départ, Senpai ?
Moi — Avant ça, allons voir la tâche.
Nanase — Ah, oui, j’avais oublié la chose.
Juste au moment où nous mîmes le pied dans la zone C8 en nous dirigeant vers le sud après le tir à la corde en C5, une autre tâche apparut dans la zone de départ. La tâche en question s’appelait “Nage en eau libre”. Il s’agissait d’une course où les participants devaient nager environ 2 km du début à la fin.
Bien qu’il y ait eu beaucoup de tâches physiquement éprouvantes jusqu’à présent dans l’examen, la barre avait été placée drastiquement plus haute que d’habitude pour celle-ci. C’est peut-être pour cette raison que cette tâche offrait également la plus grande récompense à ce jour, avec 20 points. La zone de départ étant très facile d’accès, les inscriptions allaient se faire vite mais pour compenser, pas tout le monde n’avait le courage de se lancer dans un tel défi. Il convenait également de mentionner que la mer ne semblait pas vraiment calme aujourd’hui.
Nager en pleine mer est complètement différent de nager dans une piscine et, en raison du danger, on pouvait supposer que la nage allait se dérouler seulement dans le secteur de la zone. Des sauveteurs étaient aussi sûrement en attente, prêts à entrer en action en cas d’urgence. C’est ainsi que nous approchâmes du stand pour les inscriptions, situé à l’extrémité de l’embarcadère. D’après ce que je pus voir de loin, il semblait y avoir un rassemblement assez important mais ça ne devait pas représenter le nombre d’inscrits. Rapidement, nous arrivâmes tous les deux au stand et déclarâmes notre intérêt à participer.
— Je dois m’excuser. La dernière place pour la catégorie des garçons a été donnée il y a déjà quelques minutes.
Chez les filles, en revanche, il ne restait qu’une seule place, ce qui n’était pas sans rappeler la tâche des drapeaux de plage il y a quelques jours. Je savais qu’il n’y avait pas beaucoup de place mais je fus quand même étonné de la popularité de l’épreuve.
Ce qui m’avait le plus surpris cependant, c’était…
Nanase — Senpai… Est-ce que… Est-ce que c’est Kôenji-senpai ?
On pouvait apercevoir un jeune homme debout, le dos tourné devant le stand, juste devant nous. Et, bien entendu, ce n’était nul autre que Kôenji. Le voir ici juste après l’annonce de la tâche était… pour le moins choquant.
Nanase — Hum… Senpai…
Moi — Si tu veux participer, tu ferais mieux de te dépêcher. Cela dit, tu es sûre que tu te sens bien ?
Le voyage jusqu’ici n’avait pas été facile. Il n’aurait même pas été surprenant qu’elle soit déjà épuisée. Elle était forcée de récupérer son endurance dans le bref laps de temps dont elle disposait pour se changer.
Nanase — Bien que je sois réticente à spécifier que je sois en parfaite condition… c’est une opportunité rare. Ainsi j’aimerais donner le meilleur de moi-même.
Malgré les circonstances, elle semblait être assez enthousiaste et motivée.
Moi — Je vais attendre là-bas alors. Viens me trouver quand c’est fini.
Nanase — Entendu.
Après avoir vu Nanase partir, je décidai de quitter un peu la zone du stand. En attendant, je voulais entrer en contact avec une certaine personne. En fait, la rencontre avec cette dernière était la raison principale de ma venue ici. Peu de temps après avoir commencé à chercher, je trouvai la personne que je cherchais assise élégamment sur une chaise pliante sous un parasol qui avait été installé sur la plage de sable.
— Bien le bonjour, Ayanokôji-kun. Il semble que la chaleur va être au rendez-vous aujourd’hui, n’est-ce pas ?
Moi — Comment vas-tu, Sakayanagi ?
Sakayanagi — Bien, je suppose. Ichinose-san et Shibata-kun font de leur mieux pour moi, alors je ne peux vraiment pas en demander plus.
Ichinose et Shibata étaient les camarades de Sakayanagi. Elle participait à l’examen disons à moitié à cause de son handicap. Comme elle ne pouvait pas se déplacer avec son groupe, ils ne pouvaient obtenir qu’une prime d’arrivée maximale de deux points par zone désignée.
Moi — Je suis curieux de savoir si ton groupe est éligible pour les bonus de rapidité.
Si un groupe voyait un de ses membres abandonner, il perdait la possibilité d’obtenir des primes de rapidité. Sakayanagi, cependant, était un cas spécial.
Sakayanagi — L’école a gracieusement décidé de faire une exception pour mon groupe. Après tout, ce n’est pas de ma faute si je ne peux pas me mouvoir comme je le veux.
Même si son groupe ne faisait pas partie du top 10 pour l’instant, on pouvait supposer qu’il avait obtenu des résultats plutôt corrects jusqu’à présent.
Sakayanagi — Puis-je te demander ce qui t’amène ici aujourd’hui ?
Moi — Il y avait plusieurs raisons, mais la première ne s’est pas déroulée comme prévu.
Je déplaçai mon regard vers la tâche de nage en eau libre qui allait probablement commencer d’une seconde à l’autre.
Moi — Malheureusement, la dernière place a été prise par Kôenji.
Sakayanagi — Il était en quatrième position ce matin encore, et pourtant maintenant il est déjà monté à la deuxième place du classement. C’est un vrai prodige, tu ne trouves pas ?
Moi — Je suis du même avis.
La plupart des groupes de tête s’affrontaient avec une marge de points assez mince. Si Kôenji prenait la première place dans cette épreuve, il se hisserait temporairement à la première place.
Sakayanagi — Il devrait y avoir environ une demi-heure avant que la tâche ne soit terminée et que Nanase-san ne revienne, alors tu es le bienvenu si tu veux te joindre à moi. Je dois dire que l’ombre ici rafraîchit à merveille.
Elle me fit signe de me diriger vers l’espace libre sous le parasol, me donnant ainsi la pleine permission de partager son espace.
Moi — Comment es-tu au courant pour Nanase ?
Sakayanagi — Parce que je reçois des mises à jour régulières sur les différents événements de l’île.
J’avais croisé des élèves de la classe de 1ère A plusieurs fois jusqu’à présent, donc je supposai qu’il n’était pas surprenant que l’un d’entre eux ait fait un rapport à Sakayanagi ici. Après tout, voyager seul avec un élève de 2nde, et une fille de surcroît, attirait l’attention de manière négative.
Moi — Es-tu sûr que ça ira ? Je suis un ennemi après tout.
La chaleur des rayons du soleil était si intense qu’il était difficile de justifier une demi-heure d’exposition directe. En restant immobile sous la lumière directe du soleil, on ne faisait qu’inutilement perdre notre endurance.
Sakayanagi — Fufu, ne fais pas le timide je te prie.
Elle semblait sous-entendre que moi, qui ne faisais pas partie du top 10, ne représentais même pas une menace perceptible. Alors que je me demandais si je devais ou non accepter son offre, les différents participants arrivèrent sur le bord de plage et entrèrent dans l’eau pour se préparer au signal. Peu de temps après, les garçons commencèrent leur course.
Sakayanagi — C’est à sens unique.
Kôenji s’élança à toute vitesse, dès le départ, et procéda à une nage directe jusqu’à la ligne d’arrivée, dépassant complètement le reste de la compétition. En d’autres termes, malgré toute la force et l’endurance qu’il avait utilisées en se déplaçant rapidement d’une zone à l’autre, il lui restait encore beaucoup à dépenser.
Sakayanagi — Kôenji-kun semble motivé comme jamais pour cet examen. Les autres doivent le considérer comme une sacrée menace.
Concernant cet examen spécial en particulier, on pouvait même dire que c’était un élément fiable de notre classe.
Moi — En fait, il y a une faveur que j’aimerais te demander, Sakayanagi.
Sakayanagi — Ayanokôji-kun en personne qui me demande une faveur ? Voilà qui est bien surprenant. Je t’écoute, parle en toute quiétude.
La plupart des gens ne voudraient même pas répondre à la demande d’un adversaire mais les yeux de Sakayanagi pétillaient d’impatience.
Moi — Cinq jours se sont écoulés depuis le début de l’examen, et pourtant, seules deux personnes se sont retirées.
Sakayanagi — Komiya-kun et Kinoshita-san, c’est ça ? Tu m’as l’air bien informé.
Moi — J’étais là par hasard quand ils ont dû se retirer.
En entendant cela, Sakayanagi, apparemment fascinée, hocha la tête.
Sakayanagi — D’après ce que j’ai compris en regardant le classement, Shinohara-san semble encore faire des efforts pour rester en lisse… Je suppose qu’elle travaille avec quelqu’un d’autre maintenant afin de ne pas rester seule jusqu’à la fin de l’examen, je me trompe ?
Moi — C’est bien ça.
Sakayanagi — Mais étant donné ses capacités limitées, il lui sera très difficile de rester seule dans son groupe pour la seconde moitié de l’examen. Idéalement, elle devrait chercher à être absorbée par un autre groupe dès que possible. C’est ce que tu voulais dire, n’est-ce pas ?
Même si je n’avais pas encore dit grand-chose, elle avait réussi à déduire ce que je voulais lui demander. C’est ainsi qu’elle continua.
Sakayanagi — Tu veux que je coopère ? As-tu déjà vu Ryuuen-kun ?
Moi — Il est d’accord avec mon plan. Il veut garder Komiya et Kinoshita.
Sakayanagi — Ah oui ?
Sakayanagi laissa échapper un sourire amusé avec son regard perçant.
Sakayanagi — Il est tout à fait naturel que Ryuuen-kun prête main-forte compte tenu des circonstances, mais je ne vois pas l’intérêt de le faire de mon côté. D’une manière générale, je suppose qu’il serait prudent d’empêcher les points de classe des 1ère de tomber entre les mains des autres années scolaires. Mais pour être honnête, même s’il n’y a pas de préjudice pour notre classe, je ne pense pas que cela justifie une quelconque intervention de ma part.
Ecouter attentivement une demande n’était pas synonyme d’approbation.
Sakayanagi — Mais si je peux compter sur toi pour me tendre la main dans les mêmes conditions une autre fois alors tu auras mon aide.
Sakayanagi répondit à ma demande par une proposition extrêmement équitable de sa part. Grâce à son intuition rapide, il semblait que les négociations allaient se terminer rapidement.
Moi — J’aimerais accepter tes conditions, mais je n’ai pas la main d’œuvre nécessaire pour le moment.
Sakayanagi — J’attendrai bien entendu le moment où tu seras prêt. Ta stratégie demandera à la fois du temps et des efforts pour être exécutée, donc il faudra passer à l’action aussi vite que possible.
Moi — Bien.
De plus, j’avais des raisons de croire que Nagumo avait appliqué une stratégie similaire depuis relativement longtemps. Je me doutais que ce genre de plan allait plutôt être utilisé dans la deuxième moitié de l’examen.
Moi — Je te contacterai plus tard.
Sakayanagi — Je te laisse donc décider du choix de l’intermédiaire. Que ce soit Horikita-san ou Ryuuen-kun, cela ne m’importe guère.
Je répondis d’un signe de tête avant de prendre rapidement congé, ayant décidé qu’il valait mieux ne pas traîner trop longtemps. Après tout, si je devais être vu avec Sakayanagi, j’allais finir par beaucoup trop attirer l’attention.
Après cela, je retournai une fois de plus au centre de l’embarcadère. En me rapprochant, j’aperçus un groupe de 2nde en train d’acheter un assortiment de fournitures différentes à Mashima-sensei. Il semblait que c’était lui qui était chargé de vendre les provisions. Même si je n’avais pratiquement plus de points, je décidai de m’arrêter et de jeter un coup d’œil.
Moi — Bonjour.
- Mashima — Ah, Ayanokôji. Tu tombes bien. J’ai quelque chose à te dire alors fais comme si tu regardais la marchandise et écoute bien.
Je m’alignai sur sa suggestion, laissant tomber mon regard sur les différents produits exposés tout en me rapprochant discrètement de lui.
- Mashima — Le directeur intérimaire Tsukishiro n’a rien fait d’étrange jusqu’à présent, du moins pas depuis le début de l’examen. Je ne l’ai pas vu planifier quoi que ce soit pour interférer.
Moi — Donc vous dites que je n’ai pas besoin de m’inquiéter ?
- Mashima — C’est ce que j’aimerais te dire, mais il y a encore certaines choses qui ne sont pas nettes.
Moi — Comment ça ?
Je me déplaçai lentement parmi les marchandises exposées, prenant de temps en temps les produits dans mes mains.
- Mashima — Dans cet examen, on ne peut pas dire quand et où quelqu’un peut se trouver en danger. Au cas où un élève subirait une blessure particulièrement critique, l’école a préparé un petit bateau et un hélicoptère pour accélérer le processus de sauvetage.
Moi — C’est pour le moins normal.
L’hélicoptère et le bateau avaient chacun leur utilité, il n’était donc pas étrange que l’établissement ait préparé les deux. Si, par exemple, un élève devait avoir des problèmes de l’autre côté de l’île pendant une période d’intempérie, il aurait été préférable d’utiliser un bateau, tandis que l’hélicoptère l’emporterait dans les cas où le temps était compté.
- Mashima — Nous avions initialement prévu d’emmener un hélicoptère et un bateau, mais pour une raison quelconque, nous avons fini par emmener deux bateaux avec nous. Lorsque je me suis renseigné, j’ai découvert que le directeur avait pris des dispositions en ce sens, par mesure de précaution.
Il semblait que, même pendant l’examen, Mashima-sensei avait consciencieusement gardé un œil sur les moindres détails en recueillant des informations sur les mouvements de Tsukishiro.
Moi — Alors, il est bien possible qu’il s’attende à ce que le besoin de deux bateaux se fasse sentir en même temps ?
- Mashima — C’est une possibilité. En tout cas j’ai préféré relever la chose mais prends cette information comme tu veux.
Ce qui devait être à l’origine un seul petit bateau de sauvetage se transforma finalement en deux bateaux. Bien que le bateau soit de petite taille, il serait quand même remarqué dès qu’il commencerait à se déplacer. Et puis il était assez difficile d’en envoyer un sans le signal SOS d’un élève. Plus important encore, même s’il parvenait à faire mobiliser le bateau, qu’est-ce que cela avait à voir avec moi, exactement ?
Moi — Où est-ce que directeur intérimaire passe-t-il habituellement son temps ?
- Mashima — En général, il reste dans la tente où l’équipement de surveillance a été installé, pour s’assurer que rien ne cloche dans les montres des élèves. Bien sûr, d’autres membres du personnel sont également présents pour surveiller. En dehors de ça, il a tendance à sortir et à patrouiller sur l’île une ou deux fois par jour, parfois pendant plusieurs heures.
Moi — Le directeur par intérim va de lui-même patrouiller sur l’île et tout seul ?
- Mashima — Oui.
Bien que je ne sache pas ce qu’il faisait exactement, je pus en tirer une conclusion concrète : il y avait plusieurs heures par jour où personne ne le surveillait.
- Mashima — Quoi qu’il en soit, j’ai un mauvais pressentiment à propos de tout ça alors veille à surveiller tes arrières, Ayanokôji.
Moi — Merci d’avoir pris la peine de me prévenir.
J’avais bien l’intention de rester aussi prudent que possible, mais je ne pouvais pas oublier l’examen en cours.
Au final, quel que soit mon degré vigilance, j’avais les pieds et les poings liés avec les règles de l’examen spécial.
3
La tâche en eau libre se termina assez rapidement et même si Nanase manqua la première place, elle réussit tout de même à se hisser de justesse à la troisième place et à gagner quelques points pour ses efforts. Elle avait parcouru une longue et âpre distance en un temps très court, alors elle s’en était admirablement bien sortie. J’allais la féliciter pour ses efforts à son retour, mais comme elle avait l’air mécontente, j’optai pour une autre approche.
Moi — La fille qui a pris la première place est ma camarade de classe, Onodera. C’est une adversaire redoutable en natation, tu ne dois pas te laisser abattre.
Face à un membre du club de natation comme Onodera comme adversaire, Nanase s’était bien débrouillée.
Nanase — Oui. Onodera-senpai est certainement très douée. Mais celui qui me préoccupe vraiment est…
Nanase s’éclipsa en regardant par-dessus son épaule et fixa du regard une certaine personne. Ce quelqu’un n’était autre que Kôenji, celui qui avait arraché la première place dans la catégorie masculine dans une démonstration écrasante de supériorité.
Nanase — En plus de se rendre ici plus rapidement que nous, il a gagné en un temps record.
Il se tenait élégamment face à la mer et d’après ce que je pouvais voir, sa respiration n’était en aucun cas laborieuse.
Moi — C’est autant un monstre qu’un surhomme. Penser à lui plus que nécessaire n’en vaut pas le coup.
J’avais beau dire cela mais en tant que camarade, j’avais dû personnellement changer mon évaluation de lui deux ou trois fois jusqu’à présent lors de cet examen spécial. La tâche du tir à la corde était un bon exemple.
Il avait un potentiel insondable. Si c’était un aperçu de ce dont il était vraiment capable, alors il était certainement juste de le qualifier de prodige en quelque sorte.Ayant obtenu 20 points grâce à sa victoire, Kôenji se hissa temporairement à la première place du classement général. Cependant, il était incorrect de dire que cela désavantageait Nagumo. Au contraire, ce dernier se trouvait dans une position extrêmement avantageuse par rapport à Kôenji.
À l’avenir, il allait sans doute maximiser la taille de son groupe grâce aux tâches. Lorsque son groupe atteindra six membres, il commencera à accumuler des points à un rythme accéléré et prendra probablement la tête du classement. Aussi extraordinaire que soit Kôenji, au bout du compte, il agissait seul. Il lui manquait les ressources humaines nécessaires pour arriver au sommet. Ainsi lorsqu’il passera à l’action, je me demandais comment Kôenji comptait exactement surmonter ce revers.
À ce stade, nous décidâmes de nous reposer jusqu’à ce que la prochaine zone désignée soit annoncée. Nous nous réhydratâmes avec de l’eau potable gratuite qu’ils avaient sur place puis avions profité d’une pause bien méritée en toute sérénité. À 13h, la troisième zone désignée de la journée fut révélée. C’était la désignation aléatoire du jour, passant directement de la zone H9 à la zone B6 – d’un côté de la carte à l’autre. Jusqu’à présent, j’avais manqué cinq zones d’affilée, ce qui m’avait coûté un nombre considérable de points. Ainsi, je voulais atteindre cette nouvelle zone désignée par tous les moyens.
Nanase — Senpai… Vu la distance, c’est certainement gérable, mais…
Ayant vu la zone qui avait été désignée sur sa propre tablette, Nanase me regarda avec des yeux brillants.
Moi — Ce sera difficile si nous essayons de passer directement par la forêt. Mais nous pouvons prendre la plage en D8 et C8 et couper à travers une plus courte parcelle de forêt jusqu’à la plage en B8. Ensuite, si on se dirige vers le nord à partir de là, on peut arriver en B6 sans trop de problèmes.
J’avais continué avant qu’elle ne puisse terminer sa phrase en y ajoutant l’itinéraire que j’avais en tête. Elle opina du chef en conséquence et se leva. Apparemment, elle avait envisagé la même chose.
Nanase — Heureusement, j’ai pu récupérer mes forces et me réhydrater un peu. Je devrais être en mesure d’avancer sans problème.
Bien que nous fussions réticents à partir loin d’ici, nous prîmes ainsi le chemin de la forêt.
Au début, nous pouvions voir de nombreux groupes mais dès que nous mîmes le pied un peu plus profondément dans la forêt, nous retrouvâmes ce sentiment familier de la solitude. Contrairement aux plages de sable où nous étions soumis aux rayons intenses du soleil, la chaleur moite et l’humidité de la forêt nous rongeaient le corps.
Moi — On vient juste de commencer mais j’ai déjà soif.
Nanase — Je m’estime heureuse d’avoir pu m’hydrater ici mais l’accès facile à l’eau potable va également me manquer.
Le fait de passer de la consommation d’eau à volonté à l’obligation de conserver de l’eau était plus difficile que prévu en terme d’accommodation. C’est pourquoi, même si gagner des points était une priorité, il était normal que des groupes essaient de rester près de la zone de départ.
Nanase — Il y a plus de groupes autour de la zone de départ que je ne le pensais. Je me demande si c’est dû au stress et à la difficulté de vivre sur l’île pendant quatre ou cinq jours d’affilée ? Qu’en penses-tu Senpai ?
Moi — Je pense que c’est une partie du problème, mais ce n’est pas la seule raison. Je dirais que le facteur le plus important est la révélation des dix derniers groupes.
Nanase — …Ah oui ? Eh bien, la peine d’expulsion ne s’applique qu’aux cinq derniers groupes, et comme ils ont eu la possibilité de connaître leur situation actuelle grâce à leurs tablettes, le quatrième jour, je suppose qu’il est logique qu’ils soient devenus complaisants…
À la fin du troisième jour, presque tous les élèves avaient fait des efforts pour se hisser au sommet du classement. On nous avait demandé de survivre dans une île inhabitée inconnue, d’accumuler un maximum de points en étant tenus d’accomplir les tâches et les zones désignées. Tout cela, dans le seul but d’échapper à cette menace connue de tous, « l’expulsion ».
Le quatrième jour, cependant, tout avait changé. Les élèves avaient commencé à comparer les points qu’ils avaient gagnés avec les groupes moins bien classés. En utilisant leurs trois premiers jours sur l’île comme référence, ils avaient fait des approximations arbitraires du nombre de points qu’ils pouvaient gagner en une journée afin de voir s’ils pouvaient terminer l’examen sans risquer les dernières places.
Nanase — Mais, même s’ils ont une avance de 10 à 20 points sur les cinq derniers, il n’y a pas de garantie absolue d’être en sécurité, n’est-ce pas ? Si c’était moi, je ferais de mon mieux pour établir une avance de 30 à 40 points et travailler pour la maintenir.
Moi — Bien sûr, à un certain moment, tout le monde sait qu’il doit procéder de cette façon. Après tout, tout le monde veut surmonter cet examen spécial avec la volonté de se donner à fond du début à la fin. Mais la réalité est tout autre. Tout comme toi et moi sommes impatients de boire un verre d’eau, une fois que l’on a goûté à quelque chose de sucré, notre détermination est vouée à faiblir.
Nanase — Je vois… Je suppose que je peux comprendre un tant soit peu. Par exemple, même si nous sommes résolus à rester debout toute la nuit pour étudier la veille d’un grand examen, dès que nous commençons à penser à l’envie de faire une petite sieste, nous nous retrouvons sous les couvertures de notre futon, finissant par se laisser gagner accidentellement par le sommeil jusqu’au petit matin…
Elle avait l’air embarrassée en le disant, comme si c’était du vécu.
Moi — Depuis le début du quatrième jour, la plupart des groupes ont commencé à manquer de nourriture et d’eau, et la fatigue générale s’est fait ressentir. Quand on voit le degré de confort de la zone de l’embarcadère, il est normal de vouloir faire une halte ici même pour un court instant.
Élire domicile dans la zone de départ ou tracer sa route ?
Moi — Après consultation, les membres d’un même groupe sont sûrement arrivés à la conclusion de vouloir se détendre là-bas pour profiter de l’eau en abondance et de la sécurité de la zone tout en glanant quelques taches faciles. Et ce n’est qu’après avoir fait le plein, que le groupe reprendrait la route.
Nanase hocha la tête pendant que je parlais, apparemment convaincue. Cependant, elle me posa une question quelques instants plus tard.
Nanase — Alors, le bon choix, c’est de renoncer à la facilité et d’être plus strict avec soi-même… c’est là où tu veux en venir, non ?
Moi — Nanase, tu as dit que tu voulais établir une bonne avance et la maintenir, mais la fatigue a commencé à te rattraper, n’est-ce pas ? Tu as aussi pris part à des tâches plus exigeantes physiquement que moi.
Nanase — O-oui. Je sais avoir affirmé plus tôt que je travaillerais dur, mais je dois admettre que mon rythme a bien ralenti par rapport au début de l’examen. D’ici demain ou après-demain, je serai probablement encore plus lente.
Bien qu’elle ne l’ait pas dit explicitement, l’usure de son corps était probablement plus importante que je ne l’imaginais. L’énergie dépensée pour participer aux tâches mise à part, combien de dizaines de kilomètres avionsnous parcourus, elle et moi, au cours de ces cinq derniers jours ?
Moi — Le repos est important. Il y a des moments où l’on n’aura pas d’autre choix que de se surmener pour gagner des points, mais la clé est de savoir quand pousser et quand prendre du recul et faire une pause. En fin de compte, il suffit d’éviter de faire les mêmes choses que la majorité des autres élèves.
Bouger quand les autres ont choisi de se reposer et se reposer quand les autres ont choisi de bouger.
Nanase — Je pensais que tu avais abordé l’examen avec négligence ces derniers jours, Ayanokôji-senpai. Mais, tu t’es conduit ainsi parce que tu ne voulais pas trop te faire remarquer pendant la première moitié de l’examen, n’est-ce pas ?
Moi — C’est à peu près ça. Bien sûr, je mordrai à l’hameçon si une occasion adéquate se présente, mais même si je parvenais à m’imposer dans une tâche très disputée, le nombre de points que je peux gagner reste limité.
Il y a eu de nombreuses tâches jusqu’à présent où j’aurais pu gagner si on m’avait donné la chance de participer, mais je n’avais jamais eu cette chance parce que quelqu’un d’autre avait déjà pris la dernière place.
Nanase — Uhm, si je peux me permettre… pourquoi me parles-tu de ton plan ? Jusqu’à présent, il m’a toujours semblé que tu cherchais à me tromper chaque fois que le sujet était abordé, senpai.
Elle voulait savoir pourquoi, et elle avait raison. Après tout, je n’avais pas l’habitude de laisser les autres m’entendre parler comme ça. Alors, pourquoi avais-je choisi de partager avec elle une partie de ma stratégie globale au lieu d’essayer de la dissimuler comme je le faisais habituellement ? Ayant passé les derniers jours à parcourir l’île avec elle, j’avais naturellement appris à mieux la comprendre.
Nanase Tsubasa… Quel genre de personnalité avait-elle ? Quel genre de mentalité ? C’était une élève assidue dont les capacités physiques et scolaires étaient bien supérieures à la moyenne. Elle suivait les instructions sans se plaindre, mais n’hésitait pas à dire ce qu’elle pensait quand elle sentait que quelque chose devait être dit. Par-dessus tout, elle avait la confiance et la détermination nécessaires pour ne pas s’effondrer facilement.
Au total, c’était tout autant une force qu’une faiblesse, ainsi qu’une façon assez maladroite pour quelqu’un de vivre sa vie. C’est précisément parce qu’elle était une telle personne que je ne pouvais m’empêcher de ressentir un sentiment bizarre quant au fait qu’elle avait choisi de s’allier à quelqu’un comme Hôsen. Était-ce parce qu’elle essayait de me faire expulser car elle viendrait de la White Room ?
Ou peut-être y avait-il une autre raison derrière ?
Lorsqu’elle proposa pour la première fois l’idée de passer l’examen ensemble, j’avais pensé qu’elle cherchait une occasion de frapper au moindre signe de faiblesse de ma part. C’est pour cette raison que j’avais essayé de donner l’impression d’être détendu ou insouciant à de multiples reprises pendant notre temps ensemble.
Si elle avait choisi de frapper alors que nous étions au plus profond de la forêt noire, ses actions auraient été camouflées Mais au final, Nanase n’avait même pas essayé de profiter des opportunités que je lui avais données.
Au contraire, entre l’écoute des problèmes d’Ike et l’aide à Shinohara et aux autres lorsqu’ils étaient en danger, elle avait toujours fait un effort sincère pour essayer d’aider ceux qui en avaient besoin.
Moi — Pour faire simple, il n’y a aucun doute sur le fait que tu sois une ennemie, Nanase. Non seulement parce que cet examen nous oblige à nous affronter en tant qu’élèves de différentes années scolaires, mais aussi parce que tu as 20 millions de points privés à gagner pour me faire expulser.
Nanase — …C’est vrai. Après tout, j’ai déjà essayé de comploter contre toi, senpai.
Moi — Ceci étant dit, tes actions jusqu’à présent ont rendu impossible pour moi de te voir comme une menace.
Nanase — Même si j’ai agi avec une hostilité flagrante à ton égard auparavant… ?
Moi — C’est étrange, n’est-ce pas ? Eh hormis ça, j’ai aussi le sentiment que même si je ne disais rien, tu comprendrais quand même ma stratégie dans une certaine mesure.
Elle avait fait semblant d’être surprise quand je dis ça, mais au fond, elle avait déjà dû comprendre mes véritables intentions. Et malgré le fait qu’elle était déjà vaguement au courant de mes plans de par sa perspicacité, elle chercha à feindre l’ignorance afin d’en savoir plus.
Moi — Mais bon, c’est juste une intuition.
À ce moment-là, Nanase se mura dans le silence. Je n’avais pas l’intention de la presser davantage sur le sujet, me contentant de poursuivre tranquillement notre chemin dans la forêt. Pour l’instant, ma priorité absolue était d’atteindre la prochaine zone désignée.
4
Nanase — Ouf ! Nous avons enfin réussi à atteindre notre dernière zone.
Avec un souffle lourd, Nanase s’effondra sur le sol, succombant à la fatigue qui envahissait tout son corps. La quatrième zone désignée de la journée avait été la zone B5, juste au-dessus de la zone B6. Pour Nanase, même une courte distance comme celle-là dut être considérablement pénible.
Moi — On dirait que tu t’es beaucoup dépensée.
Elle allait bien lorsque nous avions quitté la zone de départ, mais après un certain temps, son rythme commença à ralentir progressivement. Dans ces circonstances, j’avais envisagé la possibilité de la laisser derrière moi et de me rendre seul à la zone désignée, mais elle réussit finalement à persévérer grâce à sa seule volonté.
Nanase — Pour être franche, participer à l’épreuve de nage était beaucoup trop pour moi.
Cette tâche l’avait clairement vidée de toute son énergie.
Moi — Heureusement pour toi, on en a terminé pour aujourd’hui. On peut se la couler douce à partir d’ici et chercher un bon endroit pour établir le camp.
Nous nous reposâmes un peu en attendant qu’elle se sente prête à marcher de nouveau, puis nous partîmes à la recherche d’une zone de camping appropriée. Peu après, nous tombâmes sur une grande ouverture dans la forêt où un autre groupe avait déjà installé son camp. On aurait dit qu’ils se préparaient à dîner car il y avait un assortiment de différents ustensiles de cuisine alignés devant leurs tentes.
C’était un endroit idéal avec beaucoup d’espace pour nous installer pour la nuit, mais c’était gênant dans la mesure où nous n’étions pas proches du groupe en question. Alors que nous essayions de les ignorer et de regarder ailleurs, l’un des élèves nous interpella.
— Yo !
L’élève en question était Hamaguchi Tetsuya, un garçon de la 1ère C. Je levai légèrement la main en réponse, ce qui incita Nanase à faire de même en s’inclinant.
Hamaguchi — Vous êtes pressés d’aller quelque part ?
Moi — Non. Nous avons déjà atteint notre zone désignée pour la journée. On pensait juste trouver un endroit un peu plus proche de la mer.
Hamaguchi — Alors pourquoi ne pas y aller doucement et rester un peu dans le coin ?
Je n’avais pas parlé avec Hamaguchi depuis l’examen du bateau de croisière qui avait eu lieu sur le chemin du retour de l’île. Nous n’avions passé qu’une brève période ensemble à l’époque, et nous n’avions jamais interagi plus que ça. On ne pouvait guère se considérer comme des amis, alors pourquoi cherchait-il à engager la conversation avec moi ?
Hamaguchi — Tu n’as pas à te forcer bien sûr.
Après un long silence, il ajouta quelques mots d’excuse. Nanase m’avait suivi sans émettre la moindre plainte, mais sa fatigue devait être au plus haut, alors je m’étais dit qu’il fallait accepter son offre.
Moi — Allez, faisons une pause alors.
Hamaguchi — Faites comme chez vous.
Hamaguchi nous fit entrer dans sa zone de camping comme s’il invitait un couple d’amis proches chez lui. Cette atmosphère si accueillante était exactement ce que l’on pouvait attendre d’un camarade de classe d’Ichinose. Cela dit, ce qui suscita vraiment mon intérêt ici n’était pas Hamaguchi, mais les deux autres membres de son groupe. Elles étaient sorties de leur tente peu de temps après que Hamaguchi nous ait appelés, ayant entendu des voix. C’étaient Andô Sayo et Minamikata Kozue qui nous dévisagèrent pendant un petit moment tout en chuchotant quelque chose sans gêne.
Moi — Si vous n’êtes pas d’accord avec l’invitation de Hamaguchi, on part d’ici sans problèmes.
En tant qu’élèves de classes différentes, si notre présence les mettait mal à l’aise, il était probablement préférable que nous partions. Du moins, c’est ce que je pensais, mais Andô s’empressa de clarifier la situation.
Andô — Non, t’en fais pas. On ne faisait pas de messes basses. En fait, on voulait parler avec toi, Ayanokôji-kun. Tu es donc clairement le bienvenu ce soir, n’est-ce pas Kozue ?
Sur ce, elle se tourna vers Minamikata, qui acquiesça à plusieurs reprises.
Hamaguchi — Si on est tous sur la même longueur d’onde alors on va fêter ça.
En disant cela, Hamaguchi sortit un sac à dos de l’intérieur d’une des tentes. Il défit la fermeture éclair, révélant une quantité considérable de conserves alimentaires à l’intérieur.
Moi — C’est beaucoup.
Avec la seule quantité que je pus voir actuellement, un groupe pouvait facilement survivre pendant une semaine.
Hamaguchi — Faut dire qu’on a eu un sacré coup de bol. Toutes nos cartes donnaient 50% de points de provisions en plus lorsque l’examen a débuté. C’est pour ça qu’on a beaucoup plus de nourriture que les autres groupes.
Bien que je l’aie déjà compris moi-même, je décidai de faire croire que j’étais réellement impressionné par cette situation. Un groupe habituel de trois personnes aurait eu 15000 points de provisions à utiliser, mais le groupe de Hamaguchi en avait 22500. Même s’ils choisissaient d’acheter un barbecue et une bonne sélection de viande, il leur resterait encore beaucoup de points. Bien sûr, de tels achats étaient mal adaptés au transport, étant donné leur poids.
L’une des principales forces de la 1ère C était que ses élèves n’agissaient pratiquement jamais de manière égoïste. Malgré cela, on pouvait être amené à penser que le groupe de Hamaguchi gaspillait ses achats, étant donné l’abondance de nourriture et d’ustensiles de cuisine qu’il avait achetés, mais ce n’était probablement pas du tout le cas ici.
Il y avait des chances que ce soit une idée d’Ichinose. Il était extrêmement difficile de se déplacer sur la carte avec une telle quantité de nourriture. C’était particulièrement vrai pour les ustensiles de cuisine et les outils comme les réchauds à gaz et autres, qui finissaient par gêner.
Cependant, c’était une autre histoire lorsque qu’un groupe était chargé de surveiller de ces choses. Ichinose avait voulu probablement mettre en place une sorte de système permettant aux élèves de partager des outils de cuisine utiles entre eux.
Au niveau du règlement, l’établissement avait déjà officiellement déclaré que nous étions autorisés à partager la nourriture avec d’autres groupes. Ainsi, il était assez juste de penser que ces trois-là étaient les cuisiniers de la 1ère C. Hamaguchi sortit un paquet de brochettes de son sac à dos.
Nanase — Quelle stratégie extrêmement intéressante.
Nanase marmonna cela de loin, ayant apparemment suivi le même processus de réflexion que moi.
Moi — Je suppose qu’on peut dire ça.
Nanase — Nous, les 2nde, manquons de solidarité. J’imagine que ceux d’entre nous qui sont prêts à agir pour le bien d’autrui sont peu nombreux.
Cependant, une telle stratégie n’allait pas sans son lot de problèmes. Rester en arrière et garder la nourriture et les fournitures était certainement important, mais il était difficile de marquer des points pour l’examen. Dans le meilleur des cas, la pénalité pour avoir manqué les zones désignées pouvait être atténuée par une seule personne. Cependant, l’écart ne ferait que se creuser progressivement par les autres groupes. Au final, la menace d’expulsion était réelle.
Hamaguchi— Les gens, ça vous dit un peu de yakiniku[1] ?
Moi — Eh, comment ça ?
Hamaguchi — On doit au moins vous offrir un bon dîner. Vous n’êtes pas d’accord les filles ?
Lorsque Hamaguchi regarda pour vérifier avec les autres membres du groupe, les deux filles répondirent par un hochement de tête immédiat, totalement emballées par l’idée. Voyant cela, je pris la parole.
Moi — Non, attendez. J’apprécie le geste, mais on ne peut pas accepter une offre aussi généreuse.
Nanase — C’est exact. Votre nourriture est bien trop précieuse pour être utilisée pour nous.
Bien que Nanase et moi nous sentions reconnaissants pour leur démonstration de bonne volonté, nous avions tous les deux décliné l’offre. Malgré cela, Hamaguchi fit comme si de rien était et continua à préparer le repas. C’était vraiment quelqu’un de bien trop gentil. Plutôt que de gaspiller ses ressources pour nous, il devrait les utiliser pour soutenir ses propres camarades dans le besoin. Sans la moindre hésitation, Hamaguchi sortit de la viande emballée d’une glacière rangée dans le sac à dos.
Hamaguchi — Vous en faites pas. Il se trouve qu’on a mis la main sur du bon bœuf en récompense d’une tâche aujourd’hui. La conservation ne va
pas durer longtemps de toute façon, alors autant en profiter tant qu’on peut.
Il prit les morceaux de viande et commença à les percer avec des brochettes. Nous étions ainsi sur le point de recevoir un repas complet. Ils apportèrent même une boîte anti-moustique pour nous préserver des piqures afin de rendre l’atmosphère encore plus accueillante et confortable.
Moi — Est-ce que c’est… vraiment, vraiment bien pour vous de nous offrir un repas comme ça ?
Hamaguchi — On se fiche bien des formalités. Ne te retiens pas.
Même si leur classe avait tendance à aider les autres, je devais quand même demander pourquoi ils faisaient ça pour moi. En effet, je doute qu’ils auraient offert un tel repas pour n’importe quel élève qui passait dans le coin.
Hamaguchi — Tu es curieux de savoir pourquoi je t’ai appelé ?
Moi — Vu ta générosité, ça soulève des questions en effet.
Après s’être arrêté un moment pour trouver les bons mots, Hamaguchi s’exprima.
Hamaguchi — C’est parce que nous avons entendu beaucoup de choses sur toi ces derniers temps, Ayanokôji-kun. Nous voulions avoir l’occasion de te parler en face à face, n’est-ce pas, les filles ?
— Ouaip.
Minamikata et Andô acquiescèrent aux mots de Hamaguchi.
Moi — Qu’est-ce que tu veux dire ?
Andô — Eh bien, comme… tu sais…
Andô me lança un regard interrogateur, me disant que je devais comprendre de quoi il parlait. Lorsqu’ils réalisèrent que je n’en avais vraiment aucune idée, leur expression devint encore plus surprise qu’auparavant.
Andô — Eh ? Attends, alors y’a pas eu de progrès ?
Minamikata — Je pensais qu’ils étaient passés au moins à la première étape.
Andô — Bah ouais ! Honami-chan n’arrête pas de parler de lui là !
Nanase — Vraiment ?
Minamikata — Je sais que ça ne nous regarde pas mais… y a une raison pour qu’ils ne sortent toujours pas ensemble ?
J’avais déjà entendu quelque part que les filles adoraient parler de ce genre de choses mais était-ce vraiment approprié pour elles de le faire devant la personne concernée ? Nanase semblait avoir fait le lien en tout cas car elle me regardait avec un intérêt vif et sans partage.
Moi — …Je ne suis pas sûr à 100% de comprendre ce que vous voulez dire, mais je ne pense pas que nous devrions sortir ensemble.
Minamikata — Non non non non non non. Comment ça tu ne penses pas
? Juste pour être sûr, on parle bien de NOTRE Honami-chan ! Allô quoi !
Andô — Je ne peux pas vraiment parler pour tous les mecs mais environ 80 à 90% des première aiment Honami-chan, non ?
Minamikata — Je suis d’accord.
S’il était certainement indéniable qu’Ichinose était populaire auprès des garçons et des filles, 90 % était clairement une exagération. Sudou aimait Horikita, Ike aimait Shinohara, et ce n’était sans doute que la partie émergée de l’iceberg.
Minamikata — Vous êtes dans des classes différentes, mais faut pas que ça te bloque ! Il y a des tonnes de couples comme ça. Y’en a même qui ne sont pas de la même année.
Moi — Qui vous dit qu’Ichinose s’intéresse à moi ?
Andô — Ooooo, c’est de la modestie que je vois ? Faut dire que t’avais pas mal de succès auprès des filles à notre inscription Ayanokôji-kun.
Quand j’y repense, je me souvenais que Kushida avait dit quelque chose de relativement similaire l’an passé. Je n’avais tout simplement pas considéré la chose, ou plutôt, j’avais choisi de ne pas trop y penser.
Nanase — Quel succès auprès de la gent féminine, Ayanokôji-senpai !
Moi — Pas du tout. C’est la première fois que j’entends ça.
Andô — Vraiiiiment ? Ah, je me souviens d’une fois où tu es apparu dans une conversation, mais le sujet avait vite changé.
Minamikata — Pour aimer quelqu’un il faut pouvoir lui parler et le Ayanokôji-kun de l’an passé était plus réservé.
Andô — Tu me diras, ça n’a toujours pas changé. Je rigole. Un peu !
Les deux filles rirent de bon cœur à mon sujet.
Nanase — En quoi Ayanokôji-senpai aurait un peu changé ?
Elle observa les deux personnes qui bavardaient avant de poser sa question.
— Hum… il semble beaucoup plus… doux maintenant ?
Celui qui répondit cette fois était Hamaguchi, qui revenait tout juste d’un passage aux toilettes quelques instants avant que Nanase ne pose sa question. Si je n’avais jamais parlé avec Andô ou Minamikata auparavant, j’avais passé un peu de temps avec Hamaguchi pendant l’examen sur le bateau de croisière. Il était la personne idéale pour comparer objectivement.
Mais ceci mis à part, ces trois-là n’avaient pas l’air d’avoir peur d’être renvoyés. Bien sûr, il n’y avait aucun moyen pour moi de dire exactement combien de points ils avaient, mais il n’y avait aucune chance qu’ils soient dans le top du classement. Si c’était le cas, alors…
Après avoir fini de dîner, nous décidâmes d’accepter leur chaleureuse hospitalité et choisîmes de rester là pour la nuit.
[1] Méthode japonaise de cuisson des viandes et des légumes au charbon de bois, au gaz ou sur une plaque chauffante.