Traducteur: linkfet
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Quand Mahiru arriva à l’appartement d’Amane le lendemain, elle semblait un peu agitée. Il aurait été tout à fait compréhensible d’être nerveux à l’idée de rendre visite à un membre du sexe opposé un jour de congé, mais ce n’était apparemment pas la raison de son agitation.
Mahiru voulait jouer à des jeux. Elle devait probablement être excitée.
Apparemment, ce serait la première fois qu’elle jouerait à un jeu vidéo. D’une certaine manière, elle ressemblait à une jeune fille de bonne famille, protégée du monde extérieur.
« Avant de jouer, je vais préparer le déjeuner, d’accord ? » Confirma Mahiru.
« Euh. Bien cuit, le mien, s’il te plaît. » Répondit Amane avec désinvolture.
« Je sais, je m’en souviens. »
Même un client aussi exigeant ne semblait pas altérer l’humeur de la jeune fille. D’un geste vif de son tablier, elle se dirigea vers la cuisine et commença à préparer le déjeuner. À voir son comportement, Mahiru semblait plutôt contente.
Amane se sentait un peu gêné et embarrassé par l’excitation qu’il éprouvait en attendant cet événement.
C’est juste parce que je suis impatient de jouer aux jeux, rien de plus, se disait-il. Ce n’était certainement pas parce qu’il était excité à l’idée de passer du temps seul avec l’ange d’à côté. En regardant la queue-de-cheval de Mahiru se balancer d’avant en arrière, Amane sourit avec ironie.
***
« … Comment est-ce qu’on est censé tenir ça ? »
Après le déjeuner, tous deux s’installèrent sur le canapé devant la télévision. Ils regardaient maintenant fixement l’écran.
Lorsqu’Amane lui avait demandé à quel jeu elle voulait jouer, il était apparu que Mahiru ne savait même pas par où commencer, alors il avait lancé un jeu 2D bien connu et lui avait tendu une manette. Malheureusement, Mahiru s’était immédiatement retrouvée déconcertée, n’ayant aucune idée de quoi faire avec.
« Euh, donc tu te déplaces avec ce joystick, et tu sautes avec ce bouton… »
Mahiru, d’ordinaire si calme et posée, regardait tantôt la manette, tantôt la télévision tout en manipulant son personnage à l’écran. Il était évident que c’était sa première fois. Elle fonçait droit sur les ennemis sans les éviter, mourant encore et encore. Amane commença à se demander si même un ange pouvait avoir des faiblesses, bien qu’elle semblait s’améliorer progressivement, quoique très lentement.
« … Je n’arrive pas à gagner. » Avoua Mahiru.
« Tu n’as même pas battu le premier ennemi, alors, terminé le niveau… » Observa Amane.
« Oh, tais-toi. »
« Eh bien, il suffit de s’entraîner, tu dois persévérer. Cela vient avec la pratique. »
Amane avait prévenu Mahiru que ce serait un défi, mais elle ne semblait pas prête à abandonner. Il était charmant de voir la jeune fille aborder le jeu avec une expression si sérieuse. Amane ne pouvait s’empêcher de sourire.
Malheureusement, Mahiru était bien trop débutante et perdait sans cesse. Finalement, il était évident qu’elle commençait à être frustrée. En lui jetant un coup d’œil, Amane aurait juré avoir entendu un effet sonore de jeu vidéo accompagner son visage boudeur.
« Ah, ici, tu dois faire comme ça… » Mahiru perdrait tout intérêt si elle continuait à s’acharner inutilement, alors Amane mit sa main sur la manette qu’elle tenait et essaya de lui montrer physiquement ce qu’il fallait faire.
Amane avait terminé ce jeu à de nombreuses reprises, il put donc aider Mahiru à franchir les passages difficiles. Étonnamment, Mahiru était pire que le joueur moyen. La plupart des gens ne seraient pas bloqués aussi souvent qu’elle, mais Amane garda cette pensée pour lui.
« Regarde, cet ennemi se déplace à une vitesse constante selon un schéma irrégulier, mais si tu observes ici, il se dirige vers ton personnage et accélère à mesure qu’il s’approche. Il suffit de surveiller ton timing et de sauter. »
Amane plaça sa main sur celle, plus petite, de Mahiru et manipula la manette pour lui montrer comment faire. À l’écran, le personnage du jeu bougea comme Amane l’avait expliqué, évitant l’ennemi qui s’approchait.
Ce n’était pas un mouvement très impressionnant, mais cela semblait suffisant pour impressionner Mahiru, qui laissa échapper un petit souffle de surprise. Ses yeux, bordés de longs cils, s’écarquillèrent, et son expression s’éclaira.
Tous deux étaient assis plus près l’un de l’autre qu’ils ne l’avaient jamais été auparavant, et Amane remarqua pour la première fois que les cils inférieurs de Mahiru étaient assez longs aussi. Souriante, il l’observait jouer avec enthousiasme.
Alors qu’Amane admirait son beau profil, Mahiru se tourna vers lui, probablement parce qu’elle avait senti son regard sur elle. Il avait dû se rapprocher pour atteindre la manette, si bien qu’ils s’étaient retrouvés beaucoup plus proches que prévu. Leurs bras et leurs mains se touchaient même, et Amane pouvait sentir le souffle léger de Mahiru effleurer sa peau. Il se trouva enveloppé par une douce chaleur et une fragrance sucrée.
« D-désolé… » Amane réalisa soudainement que ses mains couvraient presque complètement celles de Mahiru, et il se retira précipitamment, tandis que Mahiru jetait des regards furtifs dans la pièce, comme si elle venait à peine de se rendre compte qu’ils étaient en train de se toucher.
Clignant des yeux de manière exagérée, Mahiru répondit : « Non… Ce n’est rien. C’est à moi de m’excuser. »
Les joues de la jeune fille étaient devenues écarlates, et Amane fut envahi de regrets quant à ce qu’il avait fait.
Mahiru n’était pas fan du contact physique. Peu importe à quel point ils étaient devenus proches, le fait que quelqu’un touche ses mains ainsi avait probablement été un peu trop pour elle. Heureusement, bien qu’elle ait l’air plutôt embarrassée, elle ne semblait ni contrariée ni en colère.
« Vraiment, je suis désolé. » Répéta Amane.
« Euh, tu sais, je ne suis pas si dérangée que ça… » Répondit Mahiru.
« Tu n’aimes pas le contact physique, non ? »
« … J’ai été surprise, mais pas contrariée. Ce n’est pas comme si tu étais un étranger. »
Il semblait qu’aujourd’hui, l’ange magnanime eût décidé de pardonner la transgression d’Amane. Soulagé de voir à quel point Mahiru laissait facilement passer cet incident, Amane relança le jeu.
Fixant ses yeux sur l’écran de télévision, Amane se prépara à aider Mahiru à progresser véritablement cette fois. Puis il vit son personnage tomber hors de la scène — un résultat plutôt prévisible. Amane commençait sérieusement à se demander s’il pourrait faire quoi que ce soit pour l’aider à s’améliorer.
Au final, Mahiru parvint tant bien que mal à passer un niveau, tout en se plaignant tout du long. Ils tombèrent d’accord pour dire que c’était probablement un bon moment pour faire une pause.
Si Amane continuait à faire mourir une totale débutante, cela aurait un effet considérable sur la motivation de Mahiru. Son plan pour l’instant était de lui faire essayer un autre jeu et de la détendre.
« Mahiru, tu te penches. »
À cette fin, Amane lui proposa un jeu de course, puisque ça avait un lien plus direct avec le monde réel, mais Mahiru inclinait son corps tout entier.
Il n’y avait aucun élément de contrôle gyroscopique dans ce jeu, donc il n’était absolument pas nécessaire de bouger physiquement. Amane ne savait même pas si Mahiru se rendait compte de ce qu’elle faisait, mais elle se balançait à gauche et à droite à chaque virage.
Contrairement au jeu précédent, celui-ci consistait à conduire une voiture, et Amane pensait que ce serait plus facile, étant donné que tout le monde comprend plus ou moins le concept de la conduite. Le tutoriel l’avait peut-être aussi aidée, car même si sa conduite était un peu maladroite, elle parvenait à jouer correctement.
Elle faisait de son mieux pour bien jouer. Son corps se balançait d’un côté à l’autre tandis qu’elle gardait une expression très sérieuse.
Elle est incroyablement mignonne, pensa Amane.
Mahiru était étrangement adorable, se balançant comme un pendule. Son intense concentration et ses efforts la rendaient encore plus mignonne.
À chaque virage, le corps de Mahiru penchait automatiquement sur le côté. Inévitablement, elle tomba directement sur les genoux d’Amane, qui fut obligé de réprimer un rire.
« … Tu n’as vraiment pas besoin de pencher tout ton corps, tu sais ? » Dit-il.
« Ce… Ce n’était pas fait exprès. » Répondit Mahiru timidement.
« Oui, je sais. Mais quand même, tu te penchais trop. »
Mahiru se redressa, parvenant tant bien que mal à retenir ses lèvres tremblantes et boudeuses.
La jeune fille avait semblé légère et douce lorsqu’elle s’était accidentellement affalée sur lui. C’était prévisible, étant donné que Mahiru avait une petite carrure, mais elle était si fine qu’Amane s’inquiétait parfois qu’elle puisse se casser en deux.
Extirpée des genoux d’Amane, Mahiru avait les joues en feu et tremblait, probablement de gêne. Dans ces moments-là, elle ressemblait vraiment à un petit animal.
Finalement, Amane ne pouvait plus se retenir et éclata de rire.
« Tu… Tu te moques de moi, là ? » Demanda Mahiru.
« Non, non. Je pensais juste à quel point tu es adorable. »
« Donc tu te moques de moi ! »
« Tu penses que je me moquerais de quelqu’un qui fait de son mieux ? »
« Non, mais… »
« Tu vois ? Tu étais juste très mignonne, c’est tout. »
« … Quand tu dis mignonne, je suis sûre que tu veux dire enfantine. »
Il y avait une note de mécontentement dans la voix de Mahiru, et Amane craignait qu’elle ne boude s’il la taquinait trop, alors il décida de garder ses pensées pour lui. Il afficha un demi-sourire en réponse à son expression désapprobatrice, et Mahiru tourna rapidement la tête.
Toute trace de mauvaise humeur disparut instantanément lorsqu’elle se replongea dans le jeu. Sa concentration intense effaçait tout autre sentiment de son visage. Il devenait évident qu’elle commençait à s’habituer au jeu, car elle parvenait à tenir tête aux autres voitures, même si c’était un peu maladroit. Amane avait eu raison de penser qu’un concept plus familier, comme conduire une voiture, serait plus facile pour Mahiru. Bien sûr, elle s’écartait encore parfois de la route ou percutait un mur.
Amane s’inquiétait qu’elle puisse finir par parcourir tout le circuit à l’envers, vu qu’elle n’avait jamais joué auparavant, mais il fut soulagé de voir qu’elle progressait mieux que prévu.
Jouer au jeu de course avec Mahiru s’avéra un peu difficile, car elle distrayait Amane sans s’en rendre compte. En penchant son corps d’un côté à l’autre avec le jeu, elle se retrouvait parfois à se coller contre lui. Chaque fois que cela arrivait, un parfum délicat se dégageait d’elle, rendant difficile pour Amane de garder son calme.
Même avec ce handicap inhabituel, Amane parvint à maintenir une avance considérable. Ils jouaient contre les adversaires les plus faibles contrôlés par l’ordinateur, après tout.
« … Comment fais-tu pour aller si vite ? » Demanda Mahiru.
« Pratique et expérience. » Répondit Amane.
Après avoir joué tant de fois, Amane connaissait le circuit par cœur et savait comment aborder les virages. Malgré les distractions extérieures causées par Mahiru, il parvint à garder son avance sans trop de difficulté.
Jetant un coup d’œil à Mahiru, qui semblait stupéfaite, Amane passa discrètement le jeu en mode solo et se retira de la compétition. Mahiru manquait encore d’expérience, alors il pensa qu’il serait mieux de la laisser s’entraîner un peu toute seule avant de jouer à nouveau ensemble. Il valait mieux qu’elle se sente à l’aise face aux adversaires contrôlés par l’ordinateur plutôt que de se décourager en perdant face à Amane.
Heureusement, il était clair que Mahiru ne manquait pas de détermination. Elle regardait l’écran avec enthousiasme même après être passée en mode solo. Avec une telle attitude, Amane était certain qu’elle apprendrait rapidement à se défendre contre l’ordinateur.
Il était évident qu’elle était une travailleuse acharnée, même avec quelque chose comme un jeu vidéo. Cette persévérance était plutôt charmante, mais chaque fois qu’Amane laissait apparaître un sourire, Mahiru s’en rendait compte et lui donnait une petite tape sur les genoux en guise de protestation.
S’il riait trop, amusé par ses plaintes, Mahiru fronçait les sourcils et murmurait : « Amane, espèce d’idiot. »
***
« J’ai gagné. »
Après deux heures de persévérance acharnée, Mahiru franchit enfin la ligne d’arrivée alors que les mots FIRST PLACE apparaissaient à l’écran. Elle se tourna vers Amane, visiblement fière d’elle.
Après un dur combat contre le jeu de course, Mahiru avait finalement obtenu la gloire de finir à la première place.
Bien qu’elle ait terminé à la dernière place lors de nombreuses tentatives précédentes, Mahiru avait refusé d’abandonner et avait continué, améliorant son classement petit à petit jusqu’à ce qu’elle gagne enfin. Un tel investissement avait probablement rendu la victoire très émouvante.
L’expression de Mahiru semblait proclamer « Je l’ai fait ! » Et Amane applaudit respectueusement en signe d’admiration.
« C’est génial. On pouvait vraiment voir que tu t’es donnée à fond. » La félicita-t-il.
« Oui ! » Peut-être parce qu’elle appréciait les compliments, son comportement habituellement réservé s’était adouci, et elle semblait un peu timide. Elle n’afficha pas un large sourire, mais un léger sourire en coin, un peu gêné, mais satisfait. C’était si doux qu’il était difficile de croire qu’il s’agissait de la même personne calme et réservée.
Récemment, Mahiru se comportait davantage comme une adolescente normale, plutôt que comme une jeune fille parfaite. Aujourd’hui, plus que jamais, elle agissait comme une enfant. Son sourire angélique avait quelque chose d’innocent, et en la regardant, Amane sentit sa raison vaciller alors qu’un désir intense de la serrer dans ses bras montait en lui. L’envie de caresser Mahiru comme un chat s’empara de lui, et avant qu’il ne s’en rende compte, il se retrouva à tendre la main vers elle.
« Quelque chose ne va pas ? » Demanda Mahiru.
Amane reprit rapidement le contrôle de son bras. « Ah, n-non, ce n’est rien. Tu t’es vraiment bien débrouillée, hein ? »
« Je m’améliore ? »
« Bien sûr. Tu es bien meilleure que lorsque tu as commencé. »
« Merci. C’était très amusant, alors je suppose que je me suis vraiment plongée dedans. » Mahiru rigola doucement.
Amane évita son regard et traversa la pièce pour récupérer une petite boîte dans un panier sur l’étagère. « Considérons ça comme ton prix pour avoir fini première. » Dit-il.
« Ah, euh, ce n’est vraiment pas nécessaire — »
« Si l’idée d’un prix ne te plaît pas, pense à ça comme quelque chose laissé par un vieil homme robuste avec une barbe blanche et un costume rouge. »
C’était un cadeau de Noël qu’Amane avait négligé de lui donner la veille.
Puisque l’anniversaire de Mahiru et Noël étaient proches, Amane avait pensé que ce serait difficile de trouver ce deuxième cadeau. Heureusement, il avait pris un peu plus d’assurance dans l’exercice, donc choisir un cadeau de Noël s’était finalement avéré moins compliqué que de trouver un cadeau pour son anniversaire.
Mahiru cligna des yeux rapidement, comme si la référence à un cadeau de Noël venait de lui rappeler que c’était effectivement Noël, et elle accepta nerveusement la boîte. Sous l’insistance d’Amane, elle déballa soigneusement le paquet.
Ce n’est rien de spécial, pourtant, pensa Amane.
Mahiru avait ouvert la boîte et sorti lentement le cadeau. C’était un porte-clés en cuir.
Sachant que Mahiru se sentirait probablement mal à l’aise si Amane lui offrait quelque chose de trop coûteux, il avait évité de choisir un objet de marque. Il avait sélectionné celui-ci uniquement parce que le design lui semblait convenir à Mahiru.
Simple, avec des fleurs et du lierre gravés dans le cuir, il était parfait pour une utilisation quotidienne. Amane n’était pas un expert en fleurs, donc il ne savait pas exactement quelles espèces figuraient sur le porte-clés, mais il trouvait que leur délicatesse reflétait bien Mahiru, et c’est pour cette raison qu’il l’avait choisi.
« Eh bien, je t’ai donné mon double de clé, donc… Après, si tu ne veux pas l’utiliser, c’est pas grave non plus, hein. » Dit Amane.
« Non, je vais l’utiliser, c’est sûr. Merci. Tu as meilleur goût que ce à quoi je m’attendais, Amane. » Répondit Mahiru.
« Qu’est-ce que tu veux dire par ‘meilleur que ce à quoi je m’attendais’ ? »
« Eh bien, normalement, tu portes juste des survêtements ou des jeans… Ce n’est pas comme si tu t’intéressais à la mode. »
« Je n’ai que des vêtements fonctionnels. »
Amane évitait de s’habiller en tenue plus soignée chaque fois que possible. Il n’avait jamais eu l’occasion de montrer à Mahiru ce à quoi il ressemblait dans de meilleurs habits, elle l’avait donc toujours vu dans son uniforme scolaire ou dans ses vêtements décontractés. Il n’était donc pas étonnant qu’elle suppose qu’il n’avait aucun sens du style, ce qui n’était pas loin de la vérité.
« … Si tu faisais un effort, tu serais probablement plutôt beau, tu sais ? Tu soignais bien ton apparence au collège, non ? » Demanda Mahiru.
« C’était parce que ma mère me forçait… Attends, comment tu sais ça ? »
« Shihoko m’a envoyé une photo en me disant, ‘Voici ce à quoi il pourrait ressembler s’il essayait’… »
« Pas croyable. »
Amane était choqué de voir la photo d’une époque où sa mère l’avait habillé avec soin pour l’emmener à son travail. En silence, Amane maudit l’indiscrétion de sa mère.
« … Ce style ne me convenait pas. »
« Je suppose que tu as raison, Amane. Tu sais, tu ne fais jamais de contact visuel, et ton visage est toujours caché derrière tes cheveux, mais je pense que tu as des traits plutôt distingués… »
La petite main de Mahiru s’étira vers le visage d’Amane, et sa paume blanche effleura son front en repoussant ses longues mèches de cheveux. Elle le regardait avec une expression curieuse. Amane ne pensait pas que son visage avait quoi que ce soit d’extraordinaire : ni moche ni particulièrement beau. Il se demanda pourquoi Mahiru le fixait aussi intensément.
« … Qu’est-ce qu’il y a ? » Demanda-t-il.
« Rien. Tes yeux ont l’air plus vifs qu’avant. » Répondit Mahiru.
Sans détourner le regard, Mahiru lui rappela qu’il y a plusieurs mois, son visage avait l’air vide, comme celui d’un zombie.
Tandis que Mahiru continuait à le fixer, Amane commençait à se sentir mal à l’aise, en même temps, une fille, et qui plus est, une grande beauté, le fixait intensément. Il se demandait ce qu’elle trouvait de si fascinant chez son visage banal.
Finalement, il ne le supportait plus. Lentement, Amane tendit la main et repoussa une mèche de cheveux du visage magnifique de Mahiru. Il hésitait à la toucher, mais elle l’avait fait de manière si décontractée qu’il pensa qu’elle lui pardonnerait probablement. Ce serait qu’un contact très léger, ça ne devrait pas poser de problème.
Mais bon sang, qu’elle est belle…
Mahiru était bien plus jolie que les mannequins glamour des magazines qui traînaient autrefois dans la chambre d’Amane, et bien plus captivante. Il y avait quelque chose d’incroyable chez elle chaque fois qu’il posait les yeux sur elle.
Amane le savait, les photos ne pouvaient pas être dignes de confiance. Même si elles pouvaient capturer un moment de beauté et le figer dans le temps, elles pouvaient aussi tromper. Mahiru, cependant, se tenait là, juste devant lui, en chair et en os. Sa beauté était réelle, sans artifices. Amane était sûr qu’il ne pourrait jamais, en aucun cas, se lasser d’être en admiration face à une telle créature.
Alors qu’Amane continuait à étudier ses traits, les yeux de Mahiru commencèrent à se détourner, et elle s’écarta brusquement de lui, lâchant sa manette. Amane se demanda ce qui la gênait alors qu’elle serrait un coussin contre sa poitrine.
« Hum, en fait… J’ai aussi un cadeau de Noël pour toi. »
« Ah, euh, merci. »
Amane allait lui demander de quoi il s’agissait, mais Mahiru l’interrompit en sortant un joli sac cadeau décoré de son sac à main. Elle le lui tendit rapidement.
« Bon, je vais préparer le dîner. »
« Hein ? T-tu fais ça maintenant ? »
Sur ces mots, Mahiru se leva rapidement et se dirigea vers la cuisine, laissant Amane perplexe devant ce changement soudain.
***
Après qu’Amane eût fini de laver la vaisselle du dîner, il revint au salon pour trouver Mahiru agitée. Elle était assise à côté de lui, comme ils en avaient pris l’habitude récemment, mais cette fois, Mahiru semblait avoir du mal à rester calme. Elle avait détourné le regard pendant tout le dîner, aussi.
C’était un genre de nervosité qu’il n’avait jamais vu chez elle auparavant, ce qui amena Amane à se demander si quelque chose s’était passé. Cela avait peut-être un lien avec le cadeau ? Quand Amane lui avait offert l’ours en peluche, lui aussi avait eu envie de fuir, et il avait eu du mal à se calmer. Peut-être que Mahiru ressentait la même sorte d’anxiété.
« Au fait, je peux ouvrir ça ? » Demanda Amane.
« Je t’en prie, vas-y. »
Amane prit le cadeau qu’il avait laissé sur la table basse, et Mahiru hocha la tête avec une certaine hésitation. Concluant qu’elle était vraiment nerveuse à l’idée de lui offrir un cadeau, Amane dénoua le ruban attachant le sac.
Dès qu’il sentit la texture et le poids de l’objet, il devina qu’il s’agissait de quelque chose en tissu. Quand il le sortit du sac et vit le motif noir et blanc en pied-de-poule, il ne comprit pas tout de suite ce que c’était. Mais en dépliant l’objet dans son intégralité, il comprit immédiatement.
« Une écharpe ? »
Elle semblait douce et luxueuse, certainement capable de garder son cou bien au chaud.
« … Eh bien, tu ne t’intéresses pas à la mode, et tu as toujours l’air d’avoir froid sur le chemin de l’école, alors… »
Amane prit la douce écharpe que Mahiru lui avait offerte et la caressa du bout des doigts.
« Je vais vraiment l’utiliser. Et woh, elle est si douce. »
« La qualité est importante quand on choisit quelque chose qu’on utilisera tous les jours. » Expliqua Mahiru.
Mahiru, qui ne portait que des vêtements de qualité, savait de quoi elle parlait. Elle semblait être du genre à penser qu’acheter des choses bon marché n’était qu’une perte de temps, préférant les produits bien faits, durables et élégants. Si cette écharpe répondait à ses normes, Amane savait que c’était un produit de haute qualité.
Il pouvait déjà sentir au travers ce tissu la douceur luxueuse, suffisamment délicate pour ne pas irriter même les peaux les plus sensibles.
Amane, impressionné par le goût raffiné de Mahiru, fit onduler l’écharpe devant elle pendant qu’elle l’observait avec une expression tendue.
« Je peux l’essayer ? » Demanda Amane.
« Je te l’ai offerte, donc tu peux en faire ce que tu veux. » Répondit Mahiru d’un ton sec.
« Entendu. »
Amane sourit face à la réponse brusque de Mahiru et enroula l’écharpe autour de son cou. Il ressentit encore mieux la qualité du tissu sur sa peau sensible. La chaleur était immédiatement préservée, et l’écharpe empêchait tout courant d’air de s’infiltrer. C’était agréable, douillet et apaisant. Bien qu’il soit encore à l’intérieur, il savait que cette écharpe le garderait au chaud tout au long de l’hiver.
« Waouh, elle est super chaude. »
« Tant mieux. » Répondit Mahiru avec un sourire soulagé.
Amane afficha un sourire doux, et Mahiru répondit par un sourire soulagé. Ces derniers temps, Mahiru avait commencé à montrer à Amane une plus grande variété de sourires, et il se surprit à nouveau à fixer ses traits enchanteurs.
Quand elle sourit ainsi, on dirait vraiment un ange…
Tout le monde à l’école disait que Mahiru avait un air angélique, mais Amane pensait que son sourire naturel, celui qu’elle réservait à ceux avec qui elle était à l’aise, était bien plus captivant.
« Qu-quoi ? » Remarqua Mahiru, gênée par le regard intense d’Amane.
« Rien. Je pensais juste que tu sembles plus détendue que lorsque je t’ai rencontrée pour la première fois. »
« … C’est vrai ? »
Mahiru semblait surprise, et Amane se mit à rire doucement.
« Ouais. Avant, tu étais très coincée et pas mignonne du tout. »
« C’était cruel de dire que je n’étais pas mignonne. » Répondit Mahiru d’un ton sarcastique.
« Ne boude pas… Maintenant, tu es bien plus… comment dire ? Je trouve que tu es beaucoup plus belle quand tu souris comme ça. C’est dommage que tu ne souriais pas comme ça dés le début. »
Mahiru avait toujours été magnifique, mais son attitude avait changé, et cela se voyait dans la manière dont elle se comportait.
Le sourire angélique qu’elle montrait à l’école avait la beauté distante d’un tableau précieux, intouchable et délicat.
Le regard froid qu’elle avait d’abord adressé à Amane évoquait quelque chose entouré de ronces, gardant les autres à distance.
Mais maintenant, son sourire doux et innocent avait une chaleur accueillante, donnant envie à Amane de la protéger et de la chérir.
Amane réfléchit à la manière dont Mahiru avait changé au fil du temps. Elle s’était progressivement habituée à sa présence, et petit à petit, elle avait ouvert son cœur. En repensant aux moments qu’ils avaient partagés, Amane ressentit une sensation légère et agréable qui montait doucement dans sa poitrine, pour finalement atteindre ses joues.
« Je suis heureux que tu puisses sourire si naturellement maintenant, que tu te sois habituée à être avec moi, et… Mais qu’est-ce que tu fais ? »
Sa phrase fut interrompue lorsque Mahiru leva l’écharpe autour de son cou et lui couvrit le visage avec. Elle ne l’avait pas enroulée trop serrée, mais la chaleur de son souffle emprisonné par l’étoffe commençait à rendre l’air un peu étouffant et oppressant.
« … Reste silencieux un moment. » Ordonna Mahiru.
« Pourquoi ? »
« … Pour rien. »
Amane, confus par ce comportement soudain, attrapa le poignet de Mahiru et fit descendre l’écharpe. Quand sa vision revint, il aperçut ses cheveux dorés et une teinte rosée sur ses joues. Elle tremblait légèrement, et à mesure qu’elle le regardait, sa gêne semblait s’intensifier.
Il se demanda pourquoi elle affichait une expression si étrange, et puis, soudainement, il lui vint à l’esprit qu’il ne pouvait y avoir qu’une seule explication.
« … Attends, ne me dis pas que… Tu es gênée ? »
« Tais-toi. »
Mahiru se tourna brusquement, confirmant sans le vouloir ce qu’Amane avait dit. Ne pouvant s’en empêcher, il sourit en réalisant que même un ange pouvait être aussi vulnérable.
Grognant, Mahiru marmonna : « Je vais prendre l’air. » Et elle se précipita vers le balcon.
Amane observa la neige qui tombait dehors, tout comme la veille. Mahiru, malgré le froid, sortit sur le balcon sans réfléchir.
Le froid pénétra dans l’appartement, et Amane frissonna. Même si Mahiru avait rapidement fermé la porte derrière elle, une touche de froid persistait dans le salon. Il poussa un léger soupir.
Elle peut bien fuir pour cacher sa gêne, mais elle pourrait au moins enfiler quelque chose de plus chaud.
Mahiru avait manifestement choisi ses vêtements en supposant qu’elle passerait la journée à l’intérieur — ou du moins en portant une grosse veste si elle sortait. Elle avait clairement privilégié le style à la chaleur, et son corps élancé allait sûrement avoir froid rapidement dans le froid.
Amane jura entre ses dents et prit la couverture qui était posée sur le dos du canapé.
C’est super dangereux de rester dehors dans la neige avec des vêtements aussi légers.
Après avoir enfilé son manteau, Amane suivit Mahiru sur le balcon et lui enroula la couverture autour des épaules.
« Prendre l’air, c’est bien, mais tu vas attraper froid comme ça. » La réprimanda-t-il.
Mahiru se tourna rapidement vers lui. « … N’est-ce pas ma réplique ? » Clairement, elle s’était calmée, car elle avait répondu avec son attitude et son expression habituelles, bien qu’il y ait une petite note de bouderie dans sa voix. Peut-être se sentait-elle un peu triste parce qu’Amane avait évoqué une conversation de leurs premières rencontres.
« Pff. Ça n’est arrivé que parce que je ne suis pas allé prendre un bain pour me réchauffer comme je le devrais. C’est une simple négligence. » Rappela Amane.
« La prochaine fois que tu te fais tremper comme un rat d’égout, assure-toi de bien te réchauffer. Si je suis là, je te jetterai moi-même dans le bain. » Lança Mahiru.
« T’es pas ma mère, quand même ? »
Il y avait certainement des moments où Mahiru disait des choses plutôt maternelles.
Avec un sourire, Amane se remémora sa première rencontre avec l’ange. C’était vers le moment où l’automne commençait généralement à devenir froid, environ à la mi-octobre. Il ne s’attendait pas à tomber malade avec une fièvre juste à cause d’un peu d’humidité, mais le temps s’était refroidi beaucoup plus rapidement que d’habitude dans sa ville natale. En y repensant, Amane admit qu’il avait peut-être été imprudent.
La partie la plus surprenante de toute cette situation avait certainement été Mahiru qui s’était occupée de lui pour le remettre sur pied.
« … Tu sais, ça fait déjà deux mois qu’on se parle. » Dit Amane avec nostalgie.
« C’est vrai. Et dire que ta chambre était tellement sale ! C’était horrible… Maintenant, ce n’est qu’un mauvais souvenir. » Répondit Mahiru avec une pointe d’humour.
« Oh, ça va ! Je la garde propre maintenant, non ? »
« Et à qui tu dois ça, à ton avis ? »
« À Dame Mahiru, bien sûr. Ça me donne envie de m’incliner en humble gratitude. »
« Tu n’as pas besoin d’en faire autant, voyons. »
Ce jour-là, sous la pluie, Amane n’aurait jamais cru que lui et Mahiru arriveraient à un point où ils pourraient plaisanter comme ça. Cela semblait si lointain maintenant, mais en réalité, cela n’avait été qu’il y a peu de temps. Beaucoup de choses avaient changé en l’espace de deux mois. Le temps avait vraiment filé.
Un silence tomba, et pendant un moment, tout était calme.
La neige, qui avait commencé et cessé par à-coups depuis hier, tombait maintenant doucement du ciel, peignant les bâtiments environnants d’une teinte pâle.
L’immeuble d’Amane et de Mahiru se trouvait dans un quartier résidentiel, et comme c’était Noël, l’endroit était silencieux. D’un appartement voisin, les deux pouvaient entendre très faiblement les sons d’une chanson de Noël, bien que pas assez clairement pour en déchiffrer les paroles.
Mahiru exhala un petit nuage blanc, et les oreilles d’Amane captèrent ce son mieux que n’importe quel autre.
Mahiru brisa le silence avec une réflexion. « C’est un sentiment étrange. Au début, je me demandais vraiment qui était ce type qui m’avait donné un parapluie. »
« Eh bien, c’est normal d’être méfiante si quelqu’un te force un parapluie dans les mains comme ça… Qu’est-ce que tu penses de moi maintenant ? » Demanda Amane avec curiosité.
« Hmm, disons que… tu es plutôt compliqué. » Répondit Mahiru en détournant le regard avec un sourire en coin.
« Pas faux. » Amane sourit en se penchant contre la balustrade du balcon. « Honnêtement, je n’aurais jamais pensé qu’on finirait par manger ensemble ou partagé des moments comme celui-ci. Je te voyais comme une personne qu’il valait mieux admirer de loin, sans jamais m’impliquer. »
« C’est probablement honnête… Bien que je le savais déjà. C’est précisément pour ça que je te fais confiance. » Dit Mahiru, et son corps trembla légèrement de rire.
Amane savait que Mahiru l’avait accepté dans sa vie précisément parce qu’il n’était pas attiré par elle, et apparemment, elle ressentait la même chose.
« Malgré tout, je suis content de t’avoir connue de cette façon. Ma vie s’est vraiment améliorée, je suis heureux de manger de la nourriture délicieuse chaque jour, et, en plus, je me sens à l’aise en traînant avec toi. » Déclara Amane.
« … Tu le penses vraiment ? »
« Oui. Je suis incroyablement reconnaissant pour ces deux derniers mois. Merci. » Amane n’aurait pas pu être plus sincère. C’était grâce à Mahiru que son niveau de vie s’était amélioré et qu’il pouvait profiter d’un repas délicieux chaque jour. À sa grande surprise, Amane avait également découvert qu’il pouvait apprécier de discuter avec une fille sans aucune attente. C’était même devenu quelque chose qu’il attendait avec impatience. Encore mieux, Mahiru lui montrait parfois des réactions adorables lorsqu’il la taquinait, et il ne se lassait jamais de cela.
Dernièrement, elle a commencé à rire de plus en plus souvent.
Comme Amane l’avait remarqué auparavant, Mahiru montrait désormais une plus grande variété d’émotions, ce qui la rendait encore plus attachante. Amane ne comptait évidemment pas agir sur ses sentiments, mais le simple fait de la regarder le faisait se sentir en paix.
Les yeux de Mahiru étaient grands ouverts, et Amane ne savait pas si la légère rougeur sur ses joues était due au froid ou à de la gêne.
« Non, c’est moi qui devrais te remercier. » Dit-elle.
« Mais je n’ai rien fait. » Du point de vue d’Amane, c’était Mahiru qui avait tout fait pour lui. Il était sûr de ne rien lui avoir donné en retour, mais elle secoua doucement la tête en signe de désaccord.
« … Je suis reconnaissante pour des choses dont tu n’as même pas conscience, Amane. » Expliqua Mahiru.
« Hum… Le fait qu’on se dise mutuellement ce pour quoi on est reconnaissant a un petit côté fin d’année. Je suppose que ce n’est pas si étrange, puisque l’année est sur le point de se terminer. »
Curieusement, Amane et Mahiru s’étaient d’ores et déjà remerciés pour certaines choses, bien que la nouvelle année était encore à six jours de là.
Les yeux de Mahiru scintillèrent à la mention de la fin de l’année, et elle laissa échapper un petit rire. « Ha-ha, c’est vrai. C’est encore un peu tôt, mais… Bonne année, Amane. Faisons en sorte qu’elle soit bonne. »
« … Oui, bonne année. » Amane hocha la tête et sourit à la proposition angélique de Mahiru.
Puis Mahiru dit soudainement : « Je gèle, rentrons, d’accord ? » Elle se retourna et ouvrit la porte vitrée qui menait au salon d’Amane.
Amane aperçut ses oreilles, devenues toutes rouges à cause de l’air glacé, et il reconnut qu’il valait mieux rentrer pour ne pas attraper froid.
… D’une façon ou d’une autre, je suppose que j’ai aussi pris goût à ce mode de vie. C’est probablement pour cela que je sens ma poitrine devenir si chaude. Tandis qu’il suivait Mahiru à l’intérieur de l’appartement, Amane regarda la douce chevelure couleur lin de Mahiru se balancer doucement et sourit secrètement pour lui-même.
Il espérait que dans les jours à venir, il pourrait continuer à voir davantage l’ange qui vivait à côté.